FICHAGE GENETIQUE : DERAPAGE INCONTROLE

Observatoire des libertés et du numérique
Communiqué de presse, Paris, 22 novembre 2018

FICHAGE GENETIQUE : DERAPAGE INCONTROLE

En matière de fichage génétique, le projet de loi de programmation de la justice est devenu un dangereux véhicule législatif, roulant à contre-sens vers un fichage généralisé. Sans aucune concertation ni débat préalable, un amendement au texte prétend tirer les conséquences de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en juin 2017, qui a jugé le fichage opéré par le fichier national des empreintes génétiques (FNAEG) disproportionné et contraire au droit à la vie privée en raison de la durée excessive de conservation (de 25 à 40 ans) et de l’impossibilité d’effacement pour les personnes condamnées.

Ce fichier tentaculaire contient aujourd’hui plus de 3,8 millions de traces ADN, résultat des textes et injonctions politiques successifs ayant étendu les possibilités de ficher pour des infractions mineures (plus d’une centaine) des personnes à peine suspectes, sans contrôle préalable du procureur de la République, le refus de prélèvement ADN constituant, enfin, une infraction pénale. Cette alimentation systématique fait que 76 % de personnes fichées sont de simples « mis en causes » et qu’on y trouve encore des enfants et des adultes fichés pour des faits mineurs.
Le gouvernement ayant décidé d’engager la procédure accélérée, le Parlement est sur le point d’adopter des modifications désastreuses.

Les unes ne modifient pas la nature du fichier : la procédure d’effacement serait raccourcie et ouverte aux personnes fichées, car condamnées, ce qui ne sera d’aucun effet tant que le critère de l’effacement demeure « si la conservation n’apparait plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier ».

Les autres ouvrent la voie, non plus à une restriction, mais bien à un fichage encore plus massif, et font céder, sans débat, une digue importante.

L’amendement proposant de ne plus restreindre l’extrait d’ADN prélevé aux seuls segments non codants est présenté comme une évidence scientifique et une nécessité pour s’adapter aux évolutions futures. Or cette exclusion était centrale lors de la création du fichier : ces segments « non codants » devaient permettre, sur la base des connaissances scientifiques de l’époque, d’identifier la personne concernée de manière unique sans révéler ses caractéristiques
héréditaires ou acquises et c’est sur la base de ce dit garde-fou, scientifiquement contesté depuis, que ce fichier a pu prospérer sans véritable débat démocratique sur l’éthique du fichage génétique. Le balayer d’un revers de main, en prétendant qu’il suffirait désormais de préciser que les informations relatives aux caractéristiques de la personne ne pourront apparaitre dans le fichier vise à endormir la vigilance des citoyens. La Commission nationale informatique et
libertés (CNIL) ne s’y est pas trompée, en dénonçant cette évolution lourde, intervenue sans son avis préalable.

Mais bientôt, il suffira qu’un parent, cousin, oncle, tante ait déjà été fiché, même pour une infraction mineure, pour devenir un suspect potentiel. Les députés veulent en effet ouvrir la « recherche en parentèle » au-delà des parents directs. Pour ces recherches dans le FNAEG, ce ne sont plus 3,8 millions de traces qui seront comparées, mais bien davantage, au point que l’on est en droit de se demander qui, désormais, ne sera pas, d’une façon ou d’une autre, fiché.

L’Observatoire des Libertés et du Numérique exige le retrait de cet amendement et une véritable concertation qui permettrait une prise de conscience citoyenne pour éviter ce « dérapage incontrôlé » du fichage génétique en France.
Organisations signataires membres de l’OLN : Le CECIL, Creis-Terminal, Globenet, La Ligue des Droits de l’Homme (LDH), La Quadrature du Net (LQDN), Le Syndicat des Avocats de France (SAF), Le Syndicat de la Magistrature (SM

28/01/2018 Journée protection des données de l’OLN – Conférence gesticulée Informatique ou Libertés ? et Ateliers

Communiqué de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), Paris, le 15 janvier 2018

À l’occasion de la la journée internationale de la protection des données personnelles, l’Observatoire des Libertés et du Numérique* a le plaisir de vous inviter à une :

Conférence gesticulée animée par Lunar : « Informatique ou libertés ? »

Suivie d’ateliers dédiés à la protection des données

le dimanche 28 janvier 2018 de 14h à 18h

Salle des actes à l’ENS 45 rue d’ULM, 75005 Paris

Entrée libre sur inscription obligatoire avant le vendredi 26 janvier 10h sur

https://frama.link/28janvier

– De 14h précise (prévoir d’arriver en avance) à 16h15 Conférence gesticulée : « Informatique ou libertés ? » – Lunar

En une trentaine d’années, les technologies numériques se sont invitées dans tous les aspects de nos vies. Travailler, s’informer, jouer, vivre ses amitiés, se soigner, consommer, ou encore militer ou se révolter… Autant d’activités qui passent dorénavant par l’usage d’outils numériques. Pourtant, quel contrôle avons-nous vraiment sur ces machines devenues omniprésentes ? À qui facilitent-t-elles vraiment la vie ?

Lunar, né en même temps que les premiers ordinateurs domestiques, utilise son expérience technique et militante pour analyser les forces politiques à l’œuvre dans le développement du monde numérique. Car derrière l’apparente complexité de la technique se cachent desdominations contre lesquelles nous pouvons heureusement nous organiser.
Une « conférence gesticulée » est un outil d’éducation populaire. À mi-chemin entre le spectacle et la conférence, elle mêle de l’autobiographie, de l’analyse, et de la théorie pour donner sens à un propos politique.

– De 16h15 à 18h00 Différents ateliers seront proposés :

  • Un atelier d’éducation populaire pour pouvoir prolonger la conférence gesticulée en interrogeant ensemble la place des ordinateurs dans nos vies animé par Lunar et Méli (limité à 15 personnes).
  • Un atelier d’autodéfense numérique / café vie privée pour échanger ensemble sur les problématiques posées par la surveillance illégitime en ligne et les moyens de s’en prémunir.
  • Un atelier de réflexion autour de potentielles actions juridiques, politiques ou sociales pour encourager par différents biais la « mise en conformité » avec les exigences du règlement général européen à la protection des données personnelles d’application dès le 26 mai 2018.

Il est indispensable de s’inscrire pour pouvoir participer à l’événement, pour cela merci d’indiquer nom et adresse mail dans le formulaire disponible ici (ces données ne serviront que pour cette inscription et ne seront pas conservées) : https://frama.link/28janvier,

En espérant vous voir nombreu·se·s à cette occasion,
Pour toute question : contact@lececil.org

L’équipe de l’OLN

Organisations membres de l’OLN : Amnesty International France, Le CECIL, Creis-Terminal, La Ligue des Droits de l’Homme (LDH), La Quadrature du Net (LQDN), Le Syndicat des Avocats de France (SAF), Le Syndicat de la Magistrature (SM).

Hommage à Stefano Rodota

Stefano  RODOTA est décédé à Rome  le 23 juin 2017 à l’âge de 84 ans.

Professeur à l’Université de Rome « La Sapienza », il a été de 1997 à 2005 président de l’Autorité nationale italienne pour la protection des données personnelles et a assuré de 2000 à 2004, la présidence du Groupe européen de protection des données. Il a également participé à la rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

CREIS-Terminal et le CECIL souhaitent saluer la mémoire d’un homme courageux et militant qui a participé à plusieurs de leurs colloques et journées d’études en les faisant bénéficier de son immense savoir de juriste et de l’expérience de son action.

HOMMAGE A STEFANO RODOTA (par André Vitalis)

Stefano Rodota, professeur à l’Université « La Sapienza » de Rome, a été de 1997 à 2005, président de l’Autorité italienne pour la protection des données personnelles (l’équivalent de notre Commission nationale de l’informatique et des libertés) et de 2000 à 2004, président du groupe européen chargé de cette même protection au niveau de l’Union.

Il a été un juriste qui a su franchir les frontières de sa discipline pour étudier des problèmes essentiels de notre présente société de l’information. C’est aussi un universitaire qui a constamment mêlé l’action à la réflexion. C’est enfin un Italien qui a eu le souci permanent de l’Europe.

L’œuvre du professeur Rodota, composée d’une vingtaine d’ouvrages traduits en plusieurs langues, est l’œuvre d’un juriste qui considère que le droit doit être constamment repenser en fonction de l’évolution du contexte social et de ses valeurs. A partir d’une approche interdisciplinaire où le droit est mis en relation avec la politique, l’économie et l’évolution technique, il a revisité des institutions-clé du droit des personnes comme la propriété, la responsabilité ou le contrat. Les deux revues qu’il a créées portent des titres significatifs : « Politique du droit » et « Revue critique du droit ». Dans un livre en son honneur qui vient d’être publié, les juristes et politologues italiens, souligne l’importance de cette contribution. A partir de la même approche interdisciplinaire, Rodota a abordé les problèmes posés par l’importance croissante des techniques dans nos sociétés modernes que le juriste et sociologue bordelais Jacques Ellul, qualifiait de techniciennes. Sa contribution majeure concerne les techniques d’information et de communication dont il montre l’ambivalence en identifiant d’une part, les dangers qu’elles comportent pour les libertés individuelles et d’autre part, les nouvelles formes démocratiques qu’elles peuvent faciliter.
A la fin des années 60, il étudie les bouleversements apportés par l’informatique et tout spécialement ses menaces liberticides. Dans un ouvrage publié en 1973, « Traitements électroniques et contrôle social », il propose des solutions politiques et juridiques afin d’éviter l’avènement d’une société de contrôle. Il montre l’importance fondamentale du droit à la vie privée dans une société qui a la possibilité de tout savoir et de tout stocker sur les individus. D’origine bourgeoise et élitiste, la vie privée prend une valeur particulière dans ce nouveau contexte. Elle intéresse désormais tous les individus dont les données doivent être protégées afin d’éviter les discriminations et les manipulations. Dans une société de l’information, être libre c’est avoir une maîtrise minimale sur ses données et n’être pas réduit à ce que les fichiers disent de nous. D’autres changements sont envisagés comme la marchandisation de l’information, l’automatisation de la décision, la transparence administrative ou la vulnérabilité des organisations.
Dans un livre publié en France en 1999, aux Editions Apogée, « La démocratie électronique. Nouveaux concepts et expériences politiques », il présente une évaluation des diverses expérimentations réalisées dans le monde, afin de mieux faire participer les individus aux décisions qui les concernent. Toutes les techniques d’information n’apportent pas une plus-value démocratique mais certaines peuvent faciliter des formes de participation encore inédites. Ce sont donc ces dernières, qu’il faut prioritairement choisir dans l’avenir.
La reconnaissance française de son œuvre devait être marquée par la remise en 2005, d’un Doctorat honoris causa par l’Université Michel de Montaigne de Bordeaux.

Parallèlement à sa carrière d’enseignant et de chercheur, Stefano Rodota a mené une carrière politique. Il a siégé de 1979 à 1994, à la Chambre des députés où il a présidé le groupe parlementaire de la Gauche indépendante. Il a été pendant 10 ans, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et pendant 5 ans, député européen. Il a toujours fait preuve dans ces engagements politiques, d’une grande indépendance par rapport aux partis et défendu une conception ouverte et pluraliste du jeu politique. Ces responsabilités parlementaires lui ont permis d’exercer une influence au-delà des cercles académiques et de convertir ses idées en programmes d’action. Ainsi, en 1994 à Paris, il a été le maître d’œuvre d’une réunion de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe consacrée à l’examen des potentialités démocratiques des nouvelles techniques d’information et de communication. Sa probité et son expertise juridique reconnue, l’ont amené à être nommé en 1997 président de l’autorité italienne de protection des données et en 2000, président du groupe européen. Dans un livre d’interview consacré à cette expérience qui s’étalera sur près de dix ans, il dit que le théoricien a beaucoup appris du praticien en observant comment la protection des données s’inscrit dans la vie quotidienne des gens et devient une dimension de la liberté ; comment également, elle touche l’ensemble des relations et l’identité même des personnes. Au cours de son expérience européenne, il a été confronté après le 11 septembre 2001, à la difficulté des arbitrages quand les raisons sécuritaires prennent le pas sur tout autre considération. En 2004, malgré l’avis défavorable du groupe européen qu’il présidait, les compagnies aériennes ont dû transmettre aux autorités américaines qui les réclamaient, les données des passagers se rendant aux Etats-Unis même si le niveau de protection offert était inférieur à celui dont elles bénéficient en Europe.
Après s’être retiré en 2005 de la vie politique italienne, il devait y faire un retour remarqué et éclatant en se présentant à l’élection présidentielle italienne du 18 avril 2013 qu’il perdit avec un nombre plus qu’honorable de voix.

Stefano Rodota a manifesté depuis toujours un intérêt pour l’Europe avant de prendre part à la construction d’une Europe des libertés et des droits de l’homme. Jeune assistant effectuant une recherche critique sur le droit de propriété à la fin des années 50, il passe ses étés à travailler à la Faculté de droit de Paris, à la Faculté internationale de droit comparé de Luxembourg et à l’Université de Fribourg en Allemagne. Devenu professeur, il est invité à l’Université d’Oxford et donne des cours et des séminaires dans la plupart des pays européens. Il a noué de nombreux contacts en France et participe depuis le début des années 90, aux travaux d’une association de chercheurs travaillant sur le thème informatique et société. Il ne néglige pas pour autant les études menées aux Etats-Unis où il a séjourné comme professeur-invité à l’Université de Stanford et l’on trouve toujours dans ses livres, de nombreuses références nord-américaines.
Son engagement en faveur de l’Europe n’a fait que croître au fil des ans comme participant à des groupes d’experts sur l’éthique de l’informatique puis de la science, comme parlementaire, comme responsable de la protection des données personnelles. Il jouera un rôle déterminant lors de la rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne approuvée en décembre 2000. Malgré la crise qu’elle traverse aujourd’hui, il estime que l’Europe est la région du monde qui possède le modèle le plus avancé dans le domaine des droits, où la dimension individuelle et sociale sont les mieux articulées. Dans des domaines comme la protection des données personnelles, la bioéthique, le respect de la diversité culturelle, l’Europe doit peser de tout son poids dans une mondialisation qui ne doit pas être seulement économique mais qui doit être aussi une mondialisation du droit.

Le Professeur Rodota aura œuvré dans ce sens, tout au long de sa carrière en ayant su avec une rare efficacité croiser les savoirs et unir l’action à la réflexion. Il est particulièrement satisfaisant et réconfortant qu’ait été confié durant de nombreuses années la responsabilité de la protection des données personnelles en Italie et en Europe à un chercheur qui trente ans plus tôt avait été un des premiers à travailler sur la mutation informatique et ses dangers pour les libertés individuelles.

Mille gracie ancora, Professore.

Livre blanc : Les données personnelles à l’heure du big data

Les données personnelles à l’heure du big data

De l’intelligence artificielle au pouvoir des algorithmes

Livre blanc publié par CREIS-Terminal et CECIL

Le plan :
1. Historique et cadre contemporain
– Éléments d’une histoire du fichage et des libertés privées en France
– Des individus exposés et trop souvent consentants face à l’utilisation de leurs données
– Exploitation à des fins marketing et de propagande contre gratuité d’un service

2. Aspects juridiques et rapport à la connaissance
– Une différence culturelle fondamentale entre la France et les États-Unis
– De nécessaires droits à instaurer
– L’importance de la question de l’enseignement avant même la majorité numérique

3. L’exploitation de la quantité des données
– Explosion de la quantité de données avec le big data
– De nouveaux usages induits
– De nouveaux risques pour les données personnelles

4. Précautions et conduite à tenir pour faire face à la cybersurveillance à l’ère du numérique
– Une nécessaire hygiène numérique
– Un peu d’autodéfense numérique
– Au-delà de l’autodéfense, un engagement militant

5. Les 10 axes de CREIS-Terminal et du CECIL

Accéder au livre blanc