Discours des musées sur les technologies de l'information et de la communication

Analyse de six discours d'institutions muséales sur le multimédia






Geneviève Vidal

4 rue Pierre Bonnard 75020 Paris - France
vidal@dsi.cnrs.fr

Résumé

Afin d'intégrer et de légitimer le processus d'informatisation, de numérisation des collections muséales et des savoirs, les musées multiplient les discours. Ces discours s'adressent au grand public, mais aussi aux professionnels des musées, car ils visent à prescrire des usages de multimédia de musée et l'appropriation des technologies d'information et de communication (TIC) dans la sphère des musées. L'analyse du corpus de six discours fournit des pistes quant à la relation entre TIC et musées. Dès lors, quatre objectifs se distinguent : promouvoir, analyser, décrire et critiquer. Ainsi, les professionnels des musées se trouvent dans une situation où ils doivent adopter une logique économique tout en menant une mission sociale. Décidés, mais dans une moindre mesure prudents, les acteurs de la sphère des musées participent à la construction d'une "société de l'information", afin de conserver leurs prérogatives.

Museums multiply discourses in order to integrate and to legitimate the process of computerization of the collections and the knowledges. This discourses are aimed at a large public and professionnals of the museums, because they aim to prescribe uses of multimedia of museum and the appropriation of the technologies of information and communication in the museums. The analysis of six discourses allow to enlighten the relation between technology and museums. Then, four objectives can be distinguished : to promote, to analyse, to describe and to criticize. In fact, professionnals of museums are in a situation, where they have to adopt economic logical and social mission. Determined, but careful, they participate in the construction of the "information society", in order to conserv their prerogatives.
 

Mots-clés : musée, multimédia, communication, industrialisation, marchandisation, interactivité, imaginaire, usages, appropriation
 
 

A partir des années 1960, les musées en France ont adopté des politiques de communication . Aussi, pour instaurer un système communicationnel opératoire, les musées ont ressenti le besoin d'évaluer leurs publics et de produire des discours, avec un double objectif : être à l'écoute des besoins des visiteurs, afin de diversifier les modes d'accès aux oeuvres et aux savoirs et annoncer, expliquer aux publics et publics potentiels des musées leurs activités. Par ailleurs les musées, qui s'insèrent dans un contexte de pratiques technologiques au quotidien en cette fin de 20ème siècle, sont entrés dans une phase de technologisation . De plus, la marchandisation des contenus muséaux constitue une motivation supplémentaire pour produire des discours, afin de développer les ressources propres des musées.
 
 

Dans ce contexte, il est possible d'émettre l'hypothèse suivante : les processus communicationnel, de technologisation et de marchandisation des musées sont intriqués. Dès lors les discours des musées visent à les expliciter, les légitimer. Mais les processus sont-ils compatibles avec le rôle social du musée, dont l'une des missions est la diffusion auprès du plus grand nombre. Cette analyse a pour objectif d'observer la relation entre les technologies de l'information et de la communication (TIC) et les musées et la nature de cette relation, à travers les discours des musées sur les TIC en général et le multimédia en particulier.
 

1. L'insertion des TIC dans le processus communicationnel des musées

Contrairement à ce qui est souvent annoncé dans les discours sur les innovations technologiques, notamment dans le cadre de l'introduction du multimédia et des réseaux électroniques, les TIC ne constituent pas une rupture dans la sphère des musées. Il est davantage question d'un processus communicationnel dans lequel s'intègrent ces technologies dites numériques et interactives. En fait, il s'agit de concevoir de nouvelles "situations muséales", de nouveaux accès aux fonds muséaux numérisés, sans rompre avec le passé. Plus d'individus sont susceptibles d'être concernés plus rapidement via l'Internet entrainant un changement d'échelle en termes de temps et d'espace. L'interactivité informatique associée à la médiatisation via une interface ordinateur vise à suggèrer de nouvelles lectures. Les discours, destinés aux lecteurs-utilisateurs potentiels ou actuels des TIC de musées (grand public et professionnels de musée, comme on le verra dans le corpus), cherchant à expliquer une rupture annoncée, à la légitimer, à diminuer les incertitudes liées à l'innovation, sont ici plutôt considérés comme un moyen pour permettre l'appropriation des TIC et pour participer à l'invention de leurs usages.
 

1.1. Le musée et la communication

Pour comprendre pourquoi (et comment : chapitre II avec analyse des discours) aujourd'hui les musées multiplient les discours sur les TIC, il est nécessaire d'avoir une vision historique de leur stratégie de communication et de saisir les conditions de cette évolution. L'évaluation dans les musées joue à ce titre un rôle essentiel. En effet, en cherchant à évaluer leurs publics , les musées ont instauré des instruments de mesure, et ainsi ont cherché à augmenter leur pouvoir d'auto-financement. Pour ce faire, les musées ont dû accompagner par des discours ces politiques de multiplication de ressources, d'évaluation qui servent à mieux connaitre leurs publics, afin de leur proposer des services. Les discours permettent également de justifier auprès des instances publiques subventionnaires et des décideurs, des actions rentables (ministères, décideurs au sein de l'institution, voire mécènes) tout en revendiquant, dans le cadre de leur mission sociale, la quête d'un public de plus en plus large. D'une façon synthétique et par le biais de communiqués de presse, des extraits d'évaluations sont diffusés. De plus, les discours servent à jouer un rôle direct sur la création de ressources propres (ventes de CDROM, futures créations de sites Internet avec ventes de services et savoir-faire muséaux).
 
 

Afin d'évaluer les publics des musées et des expositions, nombre d'études mettent en avant le primat de la réception au sein des musées. Or, privilégier les publics revient souvent à privilégier les objets, les informations muséographiques dans une exposition, pour savoir ce que les visiteurs en retirent. Des recueils de visite deviennent instruments de conception et de réalisation des expositions, adaptées aux besoins évoqués par les publics évalués . Bernard Schiele retrace l'histoire de l'exposition de musée et souligne trois grandes phases de l'évolution des musées : 18ème siècle, début du 20ème siècle et fin du 20ème siècle. Ses travaux sont intéressants dans le cadre de cet exposé car il semble pertinent de mettre en relation les publics des musées et la communication des musées. Dès lors, la politique de communication des musées amène les professionnels des musées à affiner des dispositifs pour la mener à bien, notamment avec les expositions et les discours. Ainsi, s'intéresser à l'histoire des évaluations au sein des musées revient à s'interroger sur "l'optimisation de la relation de communication entre les visiteurs et un dispositif" (Schiele, 1992, page 3). Schiele parle de "l'effet structurant de l'évaluation sur la conception", il faut ajouter, sous forme interrogative, l'effet structurant de l'évaluation sur la communication et les discours.

Depuis la création des musées au 18ème siècle, dans la transition des collections royales et religieuses vers le musée de la bourgeoisie, l'exposition est le moyen de montrer les collections acquises, les fonds, tant artistiques que scientifiques. Au 20ème siècle, pour présenter ces collections plusieurs courants de recherches en muséologie existent : dans les années 20, l'exposition doit raconter une histoire, dans les années 30, elle fait circuler un message ; ce qui ouvre la voie aux réflexions sur l'exposition en tant que "fonction du musée". C'est à partir de ce moment que les muséologues discuteront la notion de l'exposition comme média de communication. D'ores et déjà le musée, comme l'exposition du musée, joue un rôle éducatif. Dans les années 40, au moment où le courant de la cybernétique produit des travaux sur les effets des médias de masse, les musées développent leur intérêt pour l'audience. Des études sont menées sur le langage des expositions de musée, pour dégager des règles de fonctionnement, une "grammaire" : objectifs, contenus, message, mise en forme.
 
 

Comme on peut le constater avec le multimédia des années 90, le musée dans les années 40 se trouve dans le flot de recherches sur les médias de communication. Ainsi jusque dans les années 60, les professionnels de musée s'intéressent à l'audience des musées et à l'effet des messages du musée sur les visiteurs-récepteurs. La conception des instruments muséographiques doit permettre aux récepteurs de saisir le message, voire même d'influencer sa réception. L'évaluation des visites de musée, pour mesurer l'efficacité du message muséal, évolue également, et la parole est donnée aux visiteurs qui racontent leurs parcours, leurs motivations. Dès lors, la relation musée/visiteur apparaît complexe. Parallèlement des évaluations quantitatives sont menées afin d'établir des statistiques sur la fréquentation, l'audience et l'impact des expositions. A partir des années 60, toujours dans la conception de l'exposition comme média, le visiteur devient un individu à prendre en considération avec ses différences et ses spécificités. Il n'est alors plus question d'un public de musée, mais le pluriel s'impose : les publics. Cette évolution a une conséquence importante sur la communication des musées, car c'est la voie vers la segmentation des publics. Cette tendance sera d'ailleurs renforcée vers la fin des années 90 avec une personnalisation des médias, une segmentation des contenus grâce à l'interactivité informatique. Dans les années 1960, les travaux de Marshall Mac Luhan ont une certaine influence sur la conception des médias, dont l'exposition de musée fait partie selon les muséologues américains menant des travaux en matière d'évaluation qui ont une certaine influence sur ceux en Europe, malgré des différences culturelles. Le mode de communication prime sur le contenu. L'objet muséal est inscrit dans un système de communication et l'exposition des objets n'existe que si un dialogue s'instaure avec le visiteur. Au tout début des années 70, des recherches sont menées sur la réception des expositions muséales : réception du sens du message, besoin de soutenir la réception grâce aux dispositifs écrits et visuels, rôle éducatif du musée, expérience individuelle et interaction sociale (visite de groupe). C'est l'époque aussi où des techniques d'exposition sont mises en oeuvre dans ce sens : scénographie, design, expositions monstratives et demonstratives (pour les discours scientifiques). Au milieu des années 70, "la relation de communication (est) l'objectif central de la mise en exposition" (Schiele, 1992, page 23). C'est alors que les techniques interactives se développent. Afin de poursuivre la mission éducative du musée, des "teaching machines" sont mises en place, tels que les presse-boutons, les audio-visuels et dès la fin des années 80 les bornes interactives. Tandis que les expositions diffusent un discours au sein de leur dispositif muséographique, les discours sur les expositions soutiennent leur communication afin d'informer les publics-visiteurs. Dans les années 80, l'approche économique est adoptée dans la sphère des musées ; on parle d'une économie de la culture. Les musées sont concernés par cette approche qui promeut leur gestion. Des plans de numérisation des fonds des musées permettent l'établissement de bases de données et de banques d'images professionnelles, ouvrant la voie vers la production de multimédias hors ligne et en ligne, avec en parallèle le minitel de la fin des années 80 comme réseau grand public (la base professionnelle Joconde est accessible par le minitel). Au milieu des années 90, la conception de sites Web avec accès aux bases de données par le protocole Internet commence. Afin de soutenir ce développement à des fins informationnelles et promotionnelles, mais également dans le cadre d'une logique de communication tout au long de ces décennies dans les musées, des discours se multiplient sur le multimédia.

Dans ce contexte de développement multimédia, des chercheurs en sociologie des usages comme Jean Davallon posent la question suivante : "le musée est-il vraiment un média ?" . L'exposition n'est plus le seul média au sein du musée, mais le musée tout entier deviendrait-il alors un média ? En 1997, le bilan des changements dans les musées depuis dix ans souligne le professionnalisme des musées, leur préoccupation de la rentabilité . Le rapport au public est le trait le plus caractéristique du changement dans les musées.
 
 

En privilégiant le public, les professionnels de musée transforment les dispositifs d'expositions, de parcours et autres accès aux collections et aux savoirs. Ainsi le visiteur devient acteur, voire hyper-acteur et de nouvelles représentations du musée émergent. Daniel Jacobi parle lui de séduction (Jacobi Daniel, 1997, pages 9 à 14) ; le musée doit attirer toujours plus de visiteurs, dans le cadre d'une tradition de diffusion à un public toujours plus large, mais aussi dans le souci de rentabiliser et de créer ses propres ressources, face aux budgets publics diminués. La médiation culturelle est un autre dispositif mis en oeuvre par les musées et notamment les grands musées, afin d'établir ou de renforcer une relation avec leurs publics. Outre des services proposés, des discours sont formulés par courrier, par voie d'affichage, par document mis à la disposition des publics dans le musée, sur site Web . L'accès distant est de plus en plus valorisé via le CDROM et le Web. Pour accompagner les mutations et l'innovation, les professionnels des musées ressentent le besoin de multiplier les discours, pour soutenir la nouvelle politique multimédia .
 
 

1.2. Des discours aux usages en passant par l'imaginaire technique

La circulation des informations sur les TIC (dans la sphère professionnelle, les médias classiques et les lieux publics) contribue à la formation des représentations collectives, ayant des conséquences sur les usages. Ces derniers ne se construisent pas ex nihilo. En effet, le contexte historique et géographique des usages est à prendre en compte. En délimitant dans le temps et l'espace ces discours, il est possible de souligner certains éléments structurels, tels que les représentations sociales et les interactions avec d'autres usages autour du musée (les livres, la presse, la vidéo, les émissions télévisées thématiques et autres produits et services culturels). Par ailleurs, les nouveaux accès aux contenus muséaux à distance ont tendance à être associés aux autres applications depuis le même ordinateur au sein du foyer, qui devient petit à petit un lieu de loisirs et d'information légitimé par les discours sur les TIC, provenant du niveau national et supra-national, qui visent à mettre en oeuvre les infrastructures de communication en réseau. L'usager de musée et des TIC a tendance à approuver alors le fait que le musée affine ses outils de segmentation des publics, car il imagine de nouveaux rapports avec l'institution culturelle, de type individualisés . Ces attentes sont construites notamment à partir des discours de la part des musées, mais également de la part des promoteurs des autoroutes de l'information, qui doivent se distinguer dans la masse de l'offre multimédia, face à la concurrence, s'appuyant sur des contenus valorisés, tels que ceux des musées . Le musée en ligne ou sur CDROM devient une garantie de la qualité du site commercial prestataire de services en ligne ou de l'éditeur, inscrit dans un processus industriel, certes culturel. Ainsi, les usagers tout en construisant leurs usages des musées en ligne ou sur CDROM, intègrent l'idée d'un musée adoptant de nouveaux outils, par ailleurs adoptés par les professionnels de l'industrie du multimédia pour développer d'autres applications. Ainsi mission publique et logique marchande se confondent petit à petit, sans rupture. La mission sociale du musée, en tant que médiateur du patrimoine et des savoirs scientifiques, ou du moins d'une vision politique du patrimoine scientifique et artistique est alors confondue dans un processus de production, édition multimédiatique. Entre les phénomènes de marchandisation et de technologisation, le musée diffuse alors une image encore floue en tant qu'acteur multimédia, au sein d'une industrie des TIC. Cette dernière revendique la constitution de services personnalisés et proches d'usagers imaginés, idéalisés hyperactifs et ayant besoin de nouveautés, de connaissances pour accéder à une efficacité, en harmonie avec une "société de l'information". Elle développe aussi des partenariats associant des pratiques professionnelles différentes : muséologie, informatique, télécommunication et multimédia.
 
 

1.3. Du cadre de référence à la confusion entre citoyen et consommateur

Or les usagers, pour s'approprier les TIC et le musée dans un nouveau contexte de services, inscrivent leurs pratiques dans un continuum de pratiques culturelles, un cadre de références. Les travaux sur "l'action située" fournissent des éléments d'analyse intéressants à ce sujet. En effet, les usagers des multimédias de musée, également lecteurs des discours des musées sur les TIC se trouvent "dans un processus continu d'orientation de l'activité, d'organisation des perspectives, de structuration de l'environnement et d'ordonnancement de cours d'action, un processus qui mobilise différents savoirs ainsi qu'un savoir-faire ou un "savoir-s'y prendre", dont relève la connaissance que nous avons des situations et des possibilités qu'elles offrent" (Quéré Louis, 1997, page 167). Par leurs pratiques ou tout simplement par leur perception de l'institution muséale dans leur environnement socio-culturel, avec leur expérience singulière, ils sont supposés mettre en relation le musée et les TIC. Par ailleurs, ils distinguent la logique publique, portée par la contribution collective (impôts sur le revenu), position fondée sur leur expérience en tant que citoyens, sur l'idée d'un patrimoine culturel et l'histoire des musées, de la logique marchande, position fondée sur leur expérience en tant que consommateurs. Mais, par les pratiques multimédiatiques culturelles, ludiques, informationnelles, professionnelles avec une interface commune, l'ordinateur, il peut y avoir une tendance à confondre ces positions, ces activités qui sont jusqu'à présent dans des espaces différents . Aussi, les usagers demandent à être pris en compte, comme le feraient des clients vis-à-vis d'une entreprise. Ainsi petit à petit se dessine un profil d'usagers de musées, comme client des musées. Ces attentes répondent en quelque sorte aux discours des professionnels des musées impliqués dans la production multimédia, mettant en avant un imaginaire d'usages des multimédias. Deviendraient-ils les visiteurs attendus par les musées producteurs de multimédia?
 
 

1.4. Le concept d'interactivité

L'interactivité est au titre de la communication publics/musées un concept très intéressant à étudier, car par la messagerie électronique par exemple, l'Internaute ou l'utilisateur de CDROM hybride évoque la possibilité technique d'entrer en contact avec des scientifiques, des conservateurs ou autres professionnels de musée, afin d'obtenir des informations qu'il ne peut pas avoir dans le musée. Par la numérisation des fonds, annoncée globale, l'usager des TIC peut également chercher à accéder aux réserves des musées, aux analyses des scientifiques et des experts. Le multimédia doit permettre un autre type de visite que celui dans le musée physique. Des tentatives sont alors faites pour simuler des parcours, pour diffuser des informations complémentaires, des animations importées des sphères des jeux électroniques ou vidéo, comme la 3D. Là encore, celles-ci sont, en termes de production et d'usage, fondées sur un existant, même si les contenus sont adaptés (en général à la page écran ayant pour conséquence des présentations courtes) : les parcours dans le musée, les commentaires textuels du livre, de la fiche et des étiquettes dans les salles de musée, les commentaires sonores issus de la cassette vidéo. Et comment pourrait-il en être autrement ? La connaissance sur les collections patrimoniales (musées d'art), dans les secteurs scientifiques (musées scientifiques et techniques) est la même, qu'elle soit diffusée via le musée ou via les nouveaux supports multimédiatiques (CDROM, réseaux électroniques).
 
 

1.5. Se lancer dans la société de l'information ?

Mais les professionnels des musées intéressés (au niveau économique et au niveau de la diffusion) par l'introduction des musées dans le courant de la multimédiatisation des services, notamment culturels, développent des multimédias avec prudence. Traditionnellement non-marchand, le secteur des musées mène une mission sociale et les professionnels des musées sont amenés à trouver une position au sein de ce processus d'informatisation généralisée , si telle est leur volonté politique pour participer à la constitution d'une "société de l'information", attendue comme un nouveau moyen de créer des richesses économiques. En créant des sites Web, les musées s'approprient un réseau de réseaux traditionnellement non-marchand également . Mais à l'heure où cette appropriation s'est effectuée (deuxième moitié des années 1990 pour les musées français), la marchandisation de l'Internet était déjà à l'oeuvre . La relation entre TIC et musées est donc spécifique et il est nécessaire de relever toutes les nuances, liées à une vocation désintéressée, pour connaître le processus de multimédiatisation des musées.
 
 

Analyser les discours des musées sur les TIC et le multimédia constitue une piste pour connaitre la position des musées dans la "société de l'information", au même titre qu'observer les usages pour mieux comprendre la relation musée et TIC.
 
 

2. Analyse des discours des musées sur les TIC et le multimédia
 
 

2.1. Le choix du corpus

Le choix du corpus analysé s'explique par le fait que j'ai observé des usages et recueilli des représentations des TIC des usages de la Cité des Sciences et de l'Industrie et du Musée du Louvre. Ainsi il est possible de rapprocher la prescription d'usages de la réalité.

On peut par ailleurs relever le fait que les supports et les contextes des discours en français, marquent une certaine diversité, limitée certes aux grands musées et institutions pouvant financièrement développer cette politique multimédia. On remarquera à l'occasion que d'un strict point de vue de la communication des musées, les musées dits de Province ou les petits musées sont très peu équipés. En fait, quand il s'agit de musées non parisiens, non dotés de budgets importants, le développement de la communication, de l'informatique tient davantage à la personnalité soit du conservateur, soit des responsables de la commune dans laquelle le musée est implanté. Cette diversité relative permet néanmoins de répondre aux questions de la relation TIC/musées.

Grâce à cette sélection de discours, la relation musée/technologie s'exprime tant à l'intérieur de l'institution qu'à l'extérieur, permettant une diffusion des discours sur le multimédia vers les professionnels et les usagers de musée, les deux cibles principales en matière de développement des TIC au sein de la sphère des musées.
 
 

2.2. Questions pour analyser les discours

Ces discours sont-ils favorables ou défavorables à l'introduction des TIC dans les musées ? Si oui, à qui et comment s'adressent-ils ? Les musées s'adressent-ils de la même façon selon leur cible (grand public, professionnels) ? Ces discours constituent-ils la marque d'une volonté de modifier la place du musée dans la société ? N'émanent-ils pas d'une certaine forme d'utopie d'un élargissement des publics de musées ? L'éducation informelle, les loisirs éducatifs ne constituent-t-ils pas les arguments d'usages, à l'heure où il faut les inventer pour les amorcer ? Les musées participeraient-ils, au même titre que les industries du multimédia, à la mise en place d'une "société de l'information", vue comme une des rares façons de ne pas perdre leurs prérogatives, leur pouvoir ? Quel est l'objectif final de cette production de discours ? A quel moment intervient cette circulation de discours (par rapport au contexte plus général de l'informatisation de la société) et pourquoi ?
 
 

Ces six discours sont intéressants à étudier, étant donnée la diversité des variables aux plans sémantique et syntaxique (voir tableaux suivants).
 

Tableau général
 
Discours CDROM Louvre P. Coural  J-P. Cuzin  CSI DMF L.Herszberg - RMN
auteur RMN et Montparnasse Multimédia,

deux co-éditeurs

Pierre Coural

responsable du service multimédia dans le service culturel du musée du Louvre

Jean-Pierre Cuzin, conservateur au Musée du Louvre Cité des Sciences et de l'Industrie, un représentant de l'institution sans nom de l'auteur précis Direction des Musées de France, 

un représentant de l'institution, sans nom de l'auteur précis

Laurence Herszberg de la Réunion des Musées Nationaux, 

établissement public à caratère industriel et commercial (EPIC)

support coffret du CDROM

(verso)

site Web du Louvre

(dans la rubrique Magazine puis le fichier "Libre Propos")

site Web du Louvre

(article issu de la presse papier, mis en ligne dans la rubrique Magazine puis le fichier "Libre Propos")

site Web CSI

(page d'accueil, puis NINR)

actes de Colloque / papier

("Patrimoine & multimédia - Le rôle du conservateur")

actes de Colloque / papier

(ICHIM)

cible acheteurs ou clients de la boutique de CDROM (grand public) internautes (tous publics susceptibles d'utiliser l'Internet) internautes et au préalable lecteurs du magazine l'ayant interviewé internautes

et visiteurs potentiels de l'exposition NINR (grand public)

conservateurs de musées et autres professionnels du patrimoine, de la culture et des musées professionnels des musées, de la culture et de l'industrie multimédia
objet CDROM et musée du Louvre multimédia comme accès aux savoirs pour les musées, enjeux du multimédia de musée CDROM "Peinture française" et multimédia pour le grand public exposition NINR de la CSI sites et bases de données de musées sur Internet , enjeux du multimédia pour les conservateurs marché du CDROM de musée
forme
 
 

 

très favorable plutôt défavorable plutôt favorable très favorable favorable favorable
objectif - promouvoir 

faire vendre le CDROM, 

- décrire 

pour suggérer des consultations

- critiquer et analyser

remettre en question l'enthousiasme autour du multimédia pour les musées et pour l'accès aux savoirs

- promouvoir

faire vendre le CDROM "Peinture française" 

- analyser 

concernant sa participation dans la réalisation de ce CDROM

- promouvoir

faire venir à l'exposition NINR et montrer une image dynamique de la CSI

- décrire 

l'apport de l'Internet pour les conservateurs

- promouvoir

l'usage du multimédia comme nouvel instrument pour les musées

- analyser et promouvoir 

faire un bilan du marché du CDROM de musée et livrer les orientations de la RMN en la matière


 

Tableau des objectifs
 
objectifs dimensions indicateurs auteurs
promouvoir - nouveauté
 
 

- progrès
 
 

- efficacité
 
 

- facilité
 
 

- rapidité

- énumérer liste de sites Web, des accès aux bases de données réalisés
 
 

- courtes phrases 
 
 

- mode impératif
 
 

- superlatifs

DMF
 
 
 
 

CSI
 
 
 
 

CDROM
 
 
 
 

JP. Cuzin

analyser - économie/marché du multimédia
 
 

- sécurité
 
 

- garantie
 
 

- sérieux
 
 

- expérience
 
 

- histoire

- chiffres
 
 

- actions marketing
 
 

- patrimoine
 
 

- usages professionnels
 
 

- risques, essais
 
 

- citations

RMN
 
 
 
 

JP. Cuzin
 
 
 
 

DMF
 
 
 
 

P. Coural

décrire - partenariats institutionnels
 
 

- réalisations
 
 

- possible

- sigles
 
 

- énumération
 
 

- projets de réalisations
 
 

- bilan d'actions
 
 

- citations

DMF
 
 
 
 

RMN
 
 
 
 

CDROM

critiquer - doute - le conditionnel

- l'emploi de "si"

- le questionnement 

- les termes entre guillemets : "frappant", "s'interroger"

P. Coural

 

Tableau syntaxique/objectifs
 
figures syntaxiques indicateurs objectifs auteurs
conjugaison impératif promouvoir CSI
vocabulaire superlatif, termes désignant les nouveaux outils (ordinateur, morphing, webphone), 

concentration d'adverbes

promouvoir CSI, CDROM
pronoms la deuxième personne du pluriel associée à l'impératif ("vous" ou "retrouvez") promouvoir CSI, CDROM
sigles ne pas donner les noms en entier, car le discours s'adresse à des professionnels, comme un langage entre connaisseurs "INRIA, ENSBA..." promouvoir DMF
taille des phrases phrases courtes, voire très courtes promouvoir CDROM, CSI
taille et forme des caractères les caractéristiques "gras", "souligné", "italique" - promouvoir

- analyser

CDROM, 

RMN

P.Coural

outils syntaxiques - guillemets pour les mots et expressions "révolution", "nouveau média", afin de prendre des distances et remettre en cause, emettre un doute

- phrases interrogatives pour mise en doute , questionnement sur le rôle scientifique du CDROM 

- point d'exclamation pour donner un ton dynamique ou pour appuyer un propos 

- numérotation : paragraphes numérotés pour une description systématique : "1/...2/..."

- tirets pour énoncer sous forme de liste les actions de l'institution 

- critiquer
 
 

- critiquer,analyser
 
 

- promouvoir
 
 

-décrire
 
 

-décrire,analyser

P. Coural

JP. Cuzin

CSI, RMN

DMF, RMN

intertitres pour organiser propos, démontrer résultats d'études de marché, pour se placer comme acteur économique décrire RMN
structure et composition des phrases -sur 4 phrases de la CSI, deux sont composées en deux parties avec les deux points pour les séparer, la deuxième partie étant une liste descriptive "textes images, sons" et "réaliser... utilisez... créez et consultez...". 

- phrases sans verbe principal pour dresser une liste d'actions 

- phrases longues

- promouvoir
 
 
 
 
 
 

- analyser

CSI

DMF

P. Coural

chiffres montrer une forme d'objectivité, de sérieux, d'études, de suivi, d'attention - décrire

- analyser

DMF, RMN
spécificités de mise en ligne - images illustratives : la proportion entre texte/image, le texte par rapport à la taille de l'écran d'ordinateur

- erreurs et fautes d'orthographe peut-être liées à une rapide mise en ligne d'un texte promotionnel. Sans doute s'agit-il d'un texte conçu et réalisé pour le site Web et non pas pour un dossier de presse papier. Le mode d'écriture à l'écran et la relecture à l'écran n'a sans doute pas permis de vérifier toutes les fautes de frappe et d'orthographe (Note : dans les forums de discussion et les sites Web : on trouve fréquemment des fautes de frappe et d'orthographe)

- écran comme page de lecture

- mots clignotants pour attirer l'attention ("Nouvelle image, nouveaux réseaux" NINR) et pour afficher le texte

- liens hypertextes : pour le niveau d'interactivité. Les articles de P.Coural et JP Cuzin n'ont aucun lien. Le texte de la CSI sur l'exposition NINR ne possède pas de lien hypertexte dans le discours, mais des liens existent dans les fenêtres pour naviguer dans le site Web. 

- fenêtres (frames) : le texte sur le site de la CSI se présente entre deux fenêtres (une à droite et une à gauche, dressant des menus de navigation dans le site, un autre menu en bas de l'écran existe) ; il est alors nécessaire d'utiliser la barre d'ascenceur horizontale pour lire les phrases dans leur totalité. Dans le cas où l'utilisateur charge la page HTML contenant le texte relatif à l'exposition NINR dans une autre page, la nouvelle page affiche alors le texte (lisible dans sa totalité cette fois, sans avoir recours à l'ascenceur horizontal) et l'image, mais il n'y a plus qu'une fenêtre à droite. On relèvera également que l'impression de cette page (en mode impression classique) ne permet que l'impression de l'image et non pas le texte (Note : pour imprimer la page complète, il est utile en fait de procéder par "objet" HTMLisé. C'est-à-dire qu'il est possible d'imprimer le texte à part, l'image à part et la fenêtre à part aussi ; l'ensemble visible à l'écran n'est pas imprimable). On peut estimer que la CSI ne facilite pas l'appropriation, par l'impression par exemple, de son site Web et de ses contenus. On peut conclure que le discours de la CSI sur cette exposition s'inscrit dans un "environnement" interactif, assez sophistiqué, ne permettant pas une appropriation aisée. Ne s'agirait-il pas là d'une préfiguration du concept de média en ce qui concerne l'Internet ? C'est-à-dire que dans le Web sur l'Internet seront de plus en plus conçus des contenus à "zapper". La CSI cherche peut-être à illustrer ce dont parle l'exposition : les nouvelles images, les nouveaux réseaux ?

promouvoir CSI

 
 
 

2.3. Les relations multimédia et musées à travers les discours

La tendance est plutôt favorable vis-à-vis du multimédia en termes de production et d'usage dans les discours des acteurs des institutions muséales. Sur les six documents présentés, quels que soient leur mode de présentation, leur mode syntaxique, leurs objectifs et leur cible, un seul est critique (P. Coural, responsable d'un service de productions audiovisuelles et multimédia). La RMN, en faisant un bilan du marché du CDROM culturel, est critique certes mais uniquement par rapport aux produits "trop spécifiques" qui ne sont pas "économiquement viables", et non pas par rapport au multimédia, aux TIC en général.

Le multimédia pour le grand public (CDROM, RMN , CSI, J-P.Cuzin, P.Coural) ou pour les professionnels (DMF), constitue un nouvel instrument de développement des musées, en ce qui concerne ses missions de conservation (numérisation, archivage), de recherche (accès aux bases de données, d'images) et de diffusion (sites Web sur l'Internet, CDROM, futurs DVD).

Les locuteurs formulent des discours plutôt incitatifs, cherchent à inciter leurs auditeurs soit à utiliser le multimédia comme outil professionnel (DMF), comme outil de promotion (J-P.Cuzin, CDROM, CSI, RMN), de ressources financières (RMN) soit comme outil de réflexion sur l'accès au musée (P.Coural).
 
 

Entre la forme syntaxique et la forme sémantique des discours des institutions muséales, on peut observer des corrélations : entre la dimension progrès et le mode impératif dans le discours de la CSI par exemple, ou encore le doute avec les guillemets dans le discours de P. Coural. On peut alors émettre l'hypothèse que les acteurs de musée veulent non seulement faire passer leur message (favorable ou défavorable, jamais neutre) concernant le multimédia, mais l'énoncer explicitement, de façon à soutenir leur propre conviction, exceptée la DMF qui, sous une forme descriptive, cherche probablement à établir une connivence professionnelle avec les conservateurs, pour promouvoir le développement des TIC et les possibilités d'évolution pour les musées. Ainsi la promotion pour la DMF auprès des conservateurs, ne passe pas par des discours marquant l'objectif, mais la DMF cherche plutôt une façon contournée pour faire passer le message de la confiance en ce nouveau média. L'exemple de l'évitement du mot "virtuel" est à ce titre fort éclairant. "Exposition imaginaire" semble être un substitut à "virtuel", pourtant fréquemment rencontré dans les discours mettant en avant l'expression "musée virtuel". "Exposition imaginaire" a sans doute été estimée plus acceptable par la DMF vis-à-vis de leurs auditeurs à ménager, démontrant par la même leur interprétation de la mentalité des conservateurs de musée par rapport aux TIC, par ailleurs souvent considérés comme réticents aux formes d'innovation en général.
 
 

Pour le CDROM, le coffret est le support du produit marchandisé et le discours est une sorte de contrat passé entre l'acheteur et le producteur-diffuseur ; tous deux savent qu'ils se trouvent dans une communication d'ordre marketing.

P.Coural et J.P. Cuzin annoncent quant à eux qu'il s'agit d'un "libre propos". Pour J.P. Cuzin il s'agit d'une interview pour la presse papier, pendant laquelle il cherche à convaincre, voire à se convaincre, que le multimédia permettra l'élargissement du public, fera aimer la peinture. L'article est retranscrit sur le site Web du musée du Louvre. En tant que "libre propos", les auteurs des discours veulent dire ce qu'ils pensent du multimédia. Mais le fait que leurs "libre propos" soient présents sur le Web institutionnel, démontre qu'ils ont une forme de pouvoir, une légitimité de diffusion : conservateur pour l'un, responsable du multimédia au service culturel du musée pour l'autre.
 
 

En ce qui concerne la production de discours sur l'Internet, les auteurs ont choisi d'utiliser ou de ne pas utiliser les possibilités techniques de l'hypertexte. Comme on a pu le constater, les discours de P. Coural et de J-P. Cuzin ne possèdent pas de lien hypertexte (excepté le pointeur en bas de page vers le sommaire du site Web). La CSI, quant à elle, ou les personnes chargées de la mise en ligne des contenus, des mises à jour du site Web ont opté pour un multi-fenêtrage.

En termes de contenu, une double démarche est visible : annoncer les activités dans la CSI et faire leur promotion. Ainsi, en présentant l'exposition "Nouvelle Image, Nouveaux Réseaux" (NINR), le discours vise à transformer les lecteurs du discours en visiteurs de l'exposition réelle. Le site Web est alors considéré par la CSI comme une sorte de vitrine, d'affiche du musée à domicile ; il doit servir le musée . Mais la mise en ligne de la présentation des services du musée permet aux internautes de les consulter sans se déplacer, sans pour autant parler de substitution, avec par exemple les dossiers scientifiques, l'espace Sciences Actualités.

La RMN livre, dans les actes de la quatrième conférence internationale sur l'hypermédia et l'interactivité dans les musées (ICHIM) , une synthèse des résultats d'étude de marché : chiffres, passé, présent, avenir du marché des produits multimédia dans le secteur des musées. Cet article est syntaxiquement formulé comme un discours oral à prononcer. Il doit vraisemblablement être la retranscription de son propos, de la page 13 à la page 17 (deuxième article sur quarante et un actes soit un total de 370 pages). L'auteur fonde une prospective sur l'expérience du passé et du présent. Elle s'adresse à des professionnels des musées et du multimédia, mais parle de multimédia grand public, même si le rôle de l'institution qu'elle représente se préoccupe aussi du fonds des musées nationaux pour la recherche. Elle a désiré mettre l'accent sur le multimédia grand public, comme vecteur de développement économique pour les musées, voire pour l'institution RMN à part entière, telle une entreprise devant réaliser un chiffre d'affaires, sans le relier à un processus économique global pour tous les musées nationaux. Malgré le fait que la RMN soit une institution publique, à aucun moment il n'a été question d'une péréquation, de bénéfices à reporter sur des actions à mener au sein des musées à d'autres fins qu'économiques .
 
 

Ces discours interviennent à un moment où les TIC sont soutenues par le gouvernement français . Les musées sont inclus dans les orientations politiques et participent directement ou indirectement à ce projet de société. Cette relation des musées avec la politique de leur ministère de tutelle et par voie de conséquence le gouvernement amène à considérer leur position entre un versant scientifique, avec les objectifs des muséologues, conservateurs, scientifiques et un versant idéologique, avec une "action politique (qui) n'a pas de fondement rationnel ; elle fait au contraire un choix entre certains ordres de valeurs ..., qui se dispensent des contraintes d'une argumentation et restent inaccessibles aux exigences d'une discussion" (Habermas Jürgen, 1968, page 99). La pratique politique peut certes obéir à des règles scientifiques, mais "la rationnalité des choix des moyens va très précisément de pair avec l'irrationnalité déclarée des positions adoptées par rapport aux valeurs, aux buts et aux besoins". Habermas cite par ailleurs Max Weber quand il parle de la "scientificisation de la politique". Dès lors, les plans d'action du gouvernement et du ministère de la Culture peuvent se doter de moyens rationnels, mais avec des choix irrationnels, déterministes vis-à-vis des technologies de l'information et de la communication (réseaux et numérisation notamment), en ne séparant pas la connaissance (portée par les scientifiques) de l'intérêt (portée par l'idéologie dominante).
 
 

Conclusion

Intégrer les technologies interactives dans le processus de communication des musées
 
 

Le musée, après son introduction relativement récente dans une logique de communication (chapitre 1.1), adopte les stratégies du marketing, des industries culturelles et du multimédia, constituant une nouvelle forme de marchandisation : édition, informatisation, télécommunication. Les discours participent à la construction des usages du multimédia de musée et de l'industrialisation et marchandisation des musées.

Mais l'informatisation, la technologisation fournissent également des instruments de diffusion pour les chercheurs et autres professionnels de musée. Pour le grand public, il s'agit de créer des scénarios à partir des fonds numérisés. La communication entre les publics et les musées, les instruments pour sa mise en oeuvre induisent (chapitres 1.2, 1.3, 1.4, 1.5) un imaginaire d'usages, une confusion de la position du visiteur de musée réel ou à distance, une volonté de personnaliser l'accès au musée et pour le musée une participation à la construction de la "société de l'information".

Le musée cherche les moyens de vivre économiquement et par la médiatisation de ses productions multimédiatiques, il cherche à instaurer une relation avec de nouveaux publics, un public de l'informatique, des jeux-vidéos, de l'Internet, du multimédia. Ainsi les musées peuvent prétendre à un rôle, à une forme de pouvoir dans la "société de l'information". De plus, détenteurs des contenus, ils se positionnent dans le processus d'industrialisation des savoirs. Les discours sur les CDROM et les sites Web de musées mettent souvent en avant la "facilité d'apprendre", "l'apprentissage par le jeu".

Dès lors la consommation culturelle instaure une certaine forme de démocratisation culturelle, laissant de côté l'élitisme jusqu'alors relié au musée, mais au détriment d'un secteur jusqu'à présent non industrialisé. Toutes les productions humaines semblent entrer dans une phase de marchandisation, et c'est le cas des secteurs culturels et éducatifs. Est-ce donc l'incontournable élément pour permettre l'accès au plus grand nombre, avec cependant les mêmes populations laissées de côté ? La phase de technologisation aurait donc permis au secteur marchand d'investir le musée. Ce mode de diffusion culturelle devient adéquat pour mener une double démarche : sociale et économique. Et cette consommation culturelle ne serait alors que le reflet de la reproduction sociale, facteur de stabilité de la société, permettant à son tour le développement du capitalisme avec ses inégalités sociales et enfin revenir, malgré l'introduction des technologies interactives, aux mêmes distributions des savoirs, de la culture, en un mot des privilèges. Mais plus positivement, l'interactivité informatique à distance peut ouvrir la voie à de nouvelles formes d'usages de musée, avec de nouvelles appropriations de la part de nouveaux publics et ainsi instaurer d'autres relations musée/publics.

Les musées feraient-ils partie des nouveaux barbares de l'Internet en cherchant un nouveau langage ?
 
 

Bibliographie
 
 

Ouvrages

Bourdieu Pierre et Darbel Alain, L'amour de l'art. les musées d'art européens et leur public, Les éditions de minuit, Paris, 1969

Caillet Elisabeth, A l'approche du musée, la médiation culturelle, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 1995

Habermas Jürgen, La technique et la science comme "idéologie", traduction française, Gallimard, Paris, 1973 (première édition allemande, 1968)

Mucchielli Roger, L'analyse de contenu des documents et des communications, ESF éditeur, Paris, 1991, 7ème édition

Quivy Raymond, Van Campenhoudt Luc, Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, Paris, 1995

Rivière Georges-Henri, La muséologie - Cours de Muséologie/textes et témoignages, Dunod, Paris, 1989
 
 

Revues

"Industries culturelles et "société de l'information"", revue Sciences de la Société n°40, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, février 1997

Jacobi Daniel, "Les musées sont-ils condamnés à séduire toujours plus de visiteurs ?", La lettre de l'OCIM n°49 "Quels changements dans les musées depuis 10 ans ?", 1997, pages 9 à 14

Publics & Musées n°2,1992, Lyon, Presses Universitaires de Lyon

Publics & Musées n°3, 1993, Lyon, Presses Universitaires de Lyon

Quéré Louis, "La situation toujours négligée ?", Réseaux n°85, CNET, Issy-les-Moulineaux, 1997
 
 

Etudes, rapports et actes

Schiele Bernard et Samson Denis, "L'exposition : du medium au media", rapport commandé par la Cité des Sciences et de l'Industrie, CREST/UQAM, mars 1992

Schiele Bernard, Symposium Franco-Canadien sur l'évaluation des musées, Document n°21, Service de la recherche et de l'évaluation, Musée de la civilisation Québec, Mars 1995, pages 39 à 43

ICHIM 97, IVème conférence internationale sur l'hypermédia et l'interactivité dans les musées, Musée du Louvre, Paris, du 3 au 5 septembre 1997

Colloque Patrimoine & multimédia - Le rôle du conservateur, Ecole nationale du Patrimoine, Grand Auditorium de la Bibliothèque Nationale de France (Tolbiac), Paris, du 23 au 25 octobre 1996
 
 

Internet

Site Web du Musée du Louvre

http://mistral.culture.fr/louvre/

Site Web de la Cité des Sciences et de l'Industrie

http://www.cite-sciences.fr

Site Web de l'Exploratorium

http://www.exploratorium.edu

http://www.exploratorium.com

Site Web du CNAM

http://www.cnam.fr/museum/

Programme d'action gouvernemental "Préparer l'entrée de la France dans la Société de l'Information", discours en ligne de Lionel Jospin

http://www.premier-ministre.gouv.fr

"Une politique culturelle ambitieuse pour les nouveaux réseaux", discours en ligne de Catherine Trautmann

http://www.culture.fr/culture/actual/communiq/plangouv.htm

Site Web de John December PhD dissertation

"Units of Analysis for Internet Communication"

http://www.december.com/john/study/comm/diss.html

http://www.usc.edu/dept/annenberg/vol1/issue4/december.html
 
 
 
 
 
 

Notes :

Selon Martine Regourd, qui a mené une enquête auprès des musées des Beaux-Arts, relève que "l'existence d'un service de communication est loin de concerner tous les musées des beaux-arts". Elle fait l'hypothèse d'un "phénomène récent" car l'analyse "permet de déceler une montée en puissance de ces services ... à partir de 1993" et leur constitution "n'apparaît pas toujours de façon tranchée mais s'opère progressivement". De plus "l'existence et l'amplitude (de ce processus) semblent échapper à toute rationnalisation". Document de travail, Université de Toulouse-Le Mirail, 1998.

2 On pourra lire les travaux issus de la théorie des industries culturelles, abordant la question de l'informatisation du secteur culturel dans Industries culturelles et "société de l'information", dans la revue Sciences de la Société n°40, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, février 1997. Le terme "technologisation" est à mon sens plus adéquate pour qualifier le phénomène dans les musées, car il s'agit de dépasser l'informatisation, et d'y insérer les technologies dites numériques et interactives.

3 Selon l'International Council of Museum ou Conseil international des musées (ICOM), en 1986 "le musée est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l'homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d'études, d'éducation et de délectation". En fait, pour définir le musée, une certaine prudence s'impose, car le musée recouvre plusieurs définitions. Il constitue une institution ayant une triple mission : la recherche, la conservation et la diffusion certes, mais, il peut être le facteur d'un développement local, instaurant un dialogue avec les populations de proximité. Il peut être aussi la marque d'une politique, reflet d'une vision du monde à un moment donné. Le musée est encore un "traducteur" de savoirs. Cette diversité porte en elle-même l'image composite de la place du musée dans la société.

4 Le multimédia peut être considéré comme un média électronique ou informatique intégrant simultanément des images fixes ou animées, des sons et des textes. Le multimédia peut être en ligne par le protocole Internet (ou Internet Protocole : IP) avec plus particulièrement le service de l’Internet World Wide Web. Il peut être hors ligne avec les CDROM, le support multimédia le plus connu et répandu pour l'instant. Mais déjà certains CDROM dits CDROM hybrides donnent accès à l'Internet, proposent des informations actualisées ou le téléchargement de nouveaux fichiers.

Mais il s'agit en fait de cerner une définition dans une dialectique permanente entre technique et utilisateur de cette technique. Aussi, ces applications peuvent être utilisées de différentes façons par l'usager, en fonction de son équipement, de sa volonté et de sa représentation de la technique. L'utilisateur ne peut circuler dans les données et applications qu'à partir des possibilités définies par le concepteur.

5 Le concept d'interactivité est assez complexe, même si le plus souvent il fait référence, dans le cadre de l'usage des multimédias, à l'hypertextualisation des données dans les sites Web ou les CDROM de musée. Mais il est également question d'interactivité dans les expositions, les musées, désignant plutôt la relation entre les dispositifs muséaux et les visiteurs.

6 Que recouvre la notion de public des musées ? Georges-Henri Rivière, muséologue, s'interroge sur "le public (qui) apparait ...comme une masse confuse et désordonnée...". Il lui "semble nécessaire d'en distinguer différentes catégories...". C'est pourquoi, le pluriel peut être employé et par ailleurs peut servir à "mieux saisir le rôle véritable du musée en matière d'éducation et de culture". Rivière met en avant le touriste qui "remplit les obligations muséales de son programme culturel, essentiellement lorsqu'il se trouve à l'étranger" et "les personnes du monde (qui) se rendent au musée par nécessité sociale" (Rivière, 1989, p305).

7 Les instruments d'évaluation des musées se sont affinés au fur et à mesure que les professionnels de musée ont observé une compléxité d'usage des musées.

8 Bernard Schiele dans Symposium Franco-Canadien sur l'évaluation des musées, Document n°21, Service de la recherche et de l'évaluation, Musée de la civilisation Québec, Mars 1995, pages 39 à 43 et Bernard Schiele et Denis Samson, "L'exposition : du medium au media", rapport commandé par la Cité des Sciences et de l'Industrie, CREST/UQAM, mars 1992

9 Dans Publics et Musées n°2,PUL, 1992

10Jacobi Daniel, "Les musées sont-ils condamnés à séduire toujours plus de visiteurs ?", La lettre de l'OCIM n°49 "Quels changements dans les musées depuis 10 ans ?", 1997, pages 9 à 14

1 "Créée en 1988, l'unité de production audiovisuelle du Louvre a pour vocation d'offrir au public une nouvelle vision des collections et du musée. Elle s'allie à des coproducteurs, choisit un réalisateur et une structure de tournage, et y associe autant que possible un diffuseur et un éditeur. L'unité est également impliquée dans un certain nombre de productions multimédia. Les productions sont disponibles sous forme de vidéo-cassettes et de CD-ROM pour certaines d'entre elles. Elles se regroupent autour de trois axes éditoriaux : Faire mieux connaître et apprécier les collections du musée du Louvre. Faire mieux comprendre le rôle et la fonction du musée. Défendre et illustrer l'histoire de l'art. " Dans le site Louvre : http://mistral.culture.fr/louvre/francais/publicat/audio.htm

12 Pour l'instant en 1998, en ce qui concerne la politique multimédia des musées, il est davantage question d'expérimentations, plutôt que d'une ligne directrice forte. Ce constat est issu d'un des bilans des premières rencontres francophones sur les "nouvelles technologies et les institutions muséales", Dijon, 18 et 19 mars 1998. http://www.ocim.org

13 Des usagers de musée peuvent rejetter ou ne pas opter pour les TIC, d'autres usagers de TIC peuvent ne pas être visiteurs de musée.

14 Le musée l'imagine aussi et le suggère dans ses discours.

15 L'habitude de pratiques associées aux technologies interactives liées à d'autres secteurs que celui du musée -par exemple les pratiques professionnelles- peut contribuer à construire des représentations liées à une efficacité grâce au courrier électronique, à un Intranet d'entreprise etc. Il y a report de représentations de pratiques vers celles en relation avec le musée.

16 Par exemple Infonie et le Musée d'Orsay, Canal Plus avec Le Deuxième Monde et le musée du Louvre.

17 Il est vrai que le livre aborde également ces différents thèmes, mais la position des récepteurs est différente selon le support : un manuel scolaire est différent d'un roman par exemple.

18 Les secteurs de la culture, de la santé et de l'éducation sont souvent cités comme les derniers secteurs à entrer dans un processus de marchandisation, devant faire face aux décisions politiques et économiques de baisses des budgets de l'Etat, dans un cadre plus large de libéralisation des marchés. Il semble important de prendre en compte un contexte général ayant des conséquences indirectes sur les usages des multimédias de musée, des musées et ainsi sur les discours promotionnels de ces usages.

19 Alors que le multimédia hors ligne et notamment le CD-Rom ont toujours obéi à la logique industrielle et marchande dans le cadre du modèle éditorial, l'Internet a été développé en dehors de cette logique, entre militaires et entre chercheurs. Or la souplesse des protocoles Internet est telle que le développement peut très bien prendre une autre direction que celle privilégiée jusque là par les militaires puis par les chercheurs.

20 Très rapidement après le logiciel Mosaïc développé par des étudiants nord-américains, les premiers navigateurs sur le Web provenaient d'entreprises commerciales telles que Netscape et suivie par Microsoft et autres navigateurs propriétaires de CompuServe, engrangeant un processus d'industrialisation et de marchandisation de l'Internet et notamment de l'application World Wide Web.

21 Je mène une enquête micro-sociologique sur les interactions entre pratiques de musée et pratiques de multimédia de musée, dans le cadre d'une recherche doctorale.

22 La RMN parle du multimédia grand public, mais s'adresse à un public professionnel.

23 Dans les actes du colloque "Patrimoine & multimédia - Le rôle du conservateur", le discours est transcrit sur quatre feuilles A4 agraphées, parmi d'autres discours. L'ensemble est inséré dans un dossier.

24 On peut voir que les sites Web peuvent aussi être des lieux d'accès à des données non mises à la disposition au sein du musée, étant élaborées pour le site exclusivement, par exemple jeux en ligne en rapport avec le musée sur le site Exploratorium http://www.exploratorium.edu, qui répond également à http://www.exploratorium.com ; .com correspondant au sites Web commerciaux, alors que .edu correspond aux sites Web éducatifs. Sur le site du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), le musée du CNAM propose des "projets Web", une "cyber-fiction" : http://www.cnam.fr/museum/

25 ICHIM a eu lieu du 3 au 5 septembre 1997, a été organisée par Archives & Museum Informatics Europe, en partenariat avec le Musée du Louvre, avec le concours de l'Ecole du Louvre.

26 Par exemple transférer des bénéfices de produits commercialisés vers des produits fonctionnant beaucoup moins bien sur le marché, mais permettant la recherche, la diffusion. L'auteur parle en page 15 de CDROM n'ayant pas fonctionné commercialement car "trop spécifiques" et le multimédia n'étant pas arrivé à "la situation de l'édition papier qui peut produire des livres scientifiques ou un peu spécifiques sans prendre trop de risques financiers", mais qui devaient cependant exister. Cela aurait pu correspondre à un besoin non commercial, avec une visée pédagogique ou expérimentale. Mais il semble qu'il s'agissait davantage d'une expérience commerciale, pour mieux se positionner sur le marché dans le futur proche.

27 Voir le Programme d'action gouvernemental pour "Préparer l'entrée de la France dans la Société de l'Information", discours en ligne de Lionel Jospin : http://www.premier-ministre.gouv.fr. La ministre de la Culture, Catherine Trautmann, a également fait un discours afin de proposer la participation de son ministère au projet de la "Société de l'Information" : "Une politique culturelle ambitieuse pour les nouveaux réseaux" : http://www.culture.fr/culture/actual/communiq/plangouv.htm. "Numériser le patrimoine culturel français et diffuser les données culturelles sur Internet" est le deuxième point sur quatre abordant l'action du Ministère de la Cuture dans ce secteur : "Internet constitue un outil spectaculaire de démocratisation de l'accès au patrimoine culturel de nos bibliothèques et de nos musées. Par son caractère mondial, il offre en outre un moyen peu coûteux de promotion de nos richesses culturelles".

28 Ceux qui ne savent pas prononcer.