Cyberposte : un service public d'accès à Internet ?

Création, intégration et usages de nouveaux services

Patrice de la Broise, Thomas Lamarche[1]

Université Charles de Gaulle Lille 3

Résumé

Devant l'injonction du politique et sous la pression de la concurrence, La Poste a développé un accès à Internet dans certains de ses bureaux de poste, le projet prenant le nom de Cyberposte. L'accessibilité des citoyens au réseau fournit potentiellement un surcroît d'image de service public. Il y a ici matière à observer comment cette démarche articule l’innovation produit et la mission de service public.

Par ailleurs, l’incursion de La Poste dans l’offre d’accès au réseau Internet et, l’intégration de tels services dans l’offre pose la question de la compatibilité entre des offres distinctes. La généralisation de l'adresse électronique, par analogie avec l’adresse postale, constitue à l’évidence un prolongement commercial, sinon un repositionnement, que l’institutionnalisation de La Poste dans sa branche courrier pourrait légitimer.

Cette offre, remarquable par son contexte d’apparition nous permet de tester les modes d’appropriation de ce nouveau service. Il faut en effet considérer que Cyberposte “ s'intègre ” physiquement dans un espace public où les motivations et pratiques d’accès à l’offre sont multiples. L’introduction d’automates avait déjà modifié la configuration des bureaux de poste et leur fréquentation. Mais que dire d’une borne informatique d’accès à Internet installée en un lieu public où les interactions sociales contrastent avec l’intimité et/ou la confidentialité d’une consultation sur réseau ? Nous répondons par une analyse sémiologique de quelques espaces postaux intégrant Cyberposte en ce que ces mises-en-scène traduisent, par elles-mêmes, les modalités de production et d’appropriation d’un nouveau service.

Abstract

Faced with the instruction of political power and under the pressure of competition, La Poste developed Internet access in some of its post offices, called Cyberposte. Citizen access to the network may provide an improved image of public services. Indeed, it might be worth considering how this process connects innovative products with the idea of public service.

Besides, integrating electronic services into the already supply raises the question of compatibility between products, which are different. The extending use of the electronic address, in the same way as the postal address, is a commercial extension, if not repositioning, that the status of La Poste as an institution in mail activities might legitimise. Access to Internet via Cyberposte is already remarkable, considering the way it appeared. Most of all, it makes it possible for us to test the way the La Poste costumers make use of this new service.

One has actually to consider that Cyberposte is becoming physically part of public sphere where motivation and access modes are varied. Introducing machines for postage among of others had already modified the lay out of post offices and the type of costumers. But what can be said about an Internet terminal set up in a public place, where social interactions contrast with the privacy or secrecy of network consulting. To this question, we answer with semiological analysis of a few post office spaces including Cyberposte, considering what this staging means in terms of production and using such a new service.


 

 

Cette communication est issue du travail d’une équipe de GERICO[2] (Groupement des équipes de recherche en information et communication de l’université Charles de Gaulle Lille 3) menée en convention avec La Poste sur dispositif Cyberposte, pour mettre en lumière l’imbrication de trois composantes :

·          logiques d’usages et modalités d’appropriation par les usagers

·          espace public versus usages privés

·          conditions de création et d’intégration d’un nouveau produit.

 

 

Cyberposte consiste à mettre à la disposition des usagers des bureaux de poste un micro-ordinateur relié au réseau Internet à partir duquel, moyennant l'achat d'une carte, ils peuvent naviguer sur Internet et avoir accès à la messagerie, une adresse électronique gratuite leur étant fournie. L’accès au réseau se déroule dans un espace public de services aux publics, dans des conditions (financières et pragmatiques) alliant la fréquentation du lieu et l’utilisation de l’Internet. Pour favoriser l’accès d’un public nouveau, un conseiller, présent dans le bureau, peut à leur demande les assister. La multiplicité des problématiques rencontrées renvoie aux différents modes d’appropriation de l’accès à Internet, tant en interne (personnel impliqué par la mission) qu’en externe (logiques d’usage). Nous proposons de présenter et d’interpréter quelques résultats essentiels de l’étude en mettant en perspective les aboutissants socio-pragmatiques (usages de l’Internet), les tenants stratégiques (construction de l’offre) de Cyberposte et les conditions d’appropriation par les usagers.

La coexistence de bornes d’accès à Internet et des autres activités du bureau pose la question de la compatibilité pratique et des synergies marketing entre des offres de services pourtant distinctes dans leurs modalités d’accès et d’usage. En particulier, l’offre d’accès à Internet dans un bureau de poste conduit l’utilisateur à développer un usage privé dans un lieu public. Un travail sur la scénographie, l’agencement de l’espace permet d’apprécier à la fois les contraintes d’intégration physique de l’offre et leurs incidences sur les usages. Nous montrerons notamment comment la double contrainte de la confidentialité et de l’accessibilité traduit le paradoxe d’un usage privé en un lieu public.

Eu égard aux contraintes d’usages observables et déclarées, nous en venons à questionner la stratégie et les modalités de formation de l’offre. L’origine politique du projet (décision de Lionel Jospin) et donc le développement obligé d’une structure d’offre et d’accès à Internet inscrit Cyberposte dans une logique de mission de service public. Pourtant après les changements réglementaires récents, La Poste se trouve dans une situation concurrentielle sans précédent, et développe ainsi des logiques marchandes qui semblent en partie prendre le pas sur des logiques civiques et relationnelles. Comment dans ce contexte, entre l’injonction du politique et les impératifs concurrentiels, une entreprise publique comme La Poste est-elle amenée à penser et à développer de nouveaux services électroniques ? L’accessibilité des citoyens au réseau par Cyberposte fournit assurément un surcroît d’image de service public et s’inscrit dans l’“ image corporate ” de La Poste. Aussi est-il intéressant de voir comment cette démarche s’inscrit à l’interne comme alliance ou confrontation de l’innovation - produit, de la “ modernisation ” de la distribution et de la mission de service public. D’autant que l’appropriation par les usagers et les conditions d’usage semblent indiquer que le discours politique (réduction des inégalités et citoyenneté dans l’accès à Internet) se traduit mal en termes d’apprentissage et de formation pour les non-initiés.

 

1. Quels usages pour un accès Internet dans un bureau de Poste

 

L’étude des usages repose sur un travail qualitatif composé d’entretiens (avec des utilisateurs et des non-utilisateurs), d’observations dans la région Nord-Pas de Calais et d’entretiens avec différents intervenants du dispositifs (agents d’accueil, responsables nationaux et départementaux de Cyberposte, responsables départementaux…). Il s’agit évidemment de déterminer les différents usages et motivations ; mais aussi de travailler le discours sur les produits, l’innovation, l’intégration dans l’offre de La Poste et les développements éventuels. Cela nous conduit à travailler sur les représentations que peuvent avoir les usagers.

 

1.1. Des usagers au profil non distinctif

 

L’enquête permet de préciser un profil d’usager qui ne correspond pas au profil attendu par La Poste, mais qui pourtant est prévisible au regard de ce qu’est l’internaute.

La plupart des utilisateurs de Cyberposte ont été initiés à l’informatique (cadre scolaire, universitaire, professionnel ou associatif). Les autres utilisateurs se déclarent, quant à eux, autodidactes et/ou sensibilisés par des proches. Utilisateurs ou non-utilisateurs de Cyberposte, ont dans leur très grande majorité déjà eu recours aux technologies de l’information et de la communication.

On note dans ce sens un indicateur de familiarité avec la technique. Le temps d’utilisation constitue aussi un indicateur de maîtrise des NTIC (une majorité d’utilisateurs mobilisent l’outil informatique à raison de 10 à 20 heures par semaine) confirmant l’aisance dont se prévalent la plupart des usagers. Ceci est corrélé par les nombreuses connexions privées (domicile) ou professionnelles (bureau) à Internet des utilisateurs (et plus encore des non-utilisateurs) qui attestent de cette familiarité. La connaissance de la navigation et des moteurs de recherche est un signe supplémentaire de la familiarité déjà acquise par les usagers.

Ce profil va assez largement à l’encontre de l’idée que le service Cyberposte serait l’occasion d’une initiation à l’usage des technologies informatiques pour des populations “ exclues du net ”, et donc de diffusion des usages plus largement dans le corps social. Il y a tout lieu de penser que Cyberposte présuppose au contraire une familiarité préalable avec celles-ci et vient s’inscrire dans ces pratiques préexistantes pour en renforcer l’exercice.

Les enquêtés considèrent eux-mêmes dans leur grande majorité que Cyberposte ne constitue pas un outil d’initiation. Les apprentissages correspondent à des perfectionnements ou à un entraînement plus qu’à un apprentissage de type initiation.

Ces éléments déclaratifs contrastent toutefois avec la représentation que les agents de contact ont des utilisateurs. Les agents considèrent en effet qu’il y a des apprentissages techniques de la part des utilisateurs ou en tout cas que qu’ils se perfectionnement par la pratique sur Cyberposte. Les agents se réfèrent au “  projet ” initial et le défendent ; mettant en avant que Cyberposte s’adresse non pas au internautes confirmés mais à ceux qui ne connaissent pas Internet et/ou souhaitent se familiariser avec l'ordinateur. On retrouve alors la démarche militante fidèle aux slogans (“ Internet pour tous ”, “ vulgariser Internet ”) qui préside au dispositif Cyberposte. Pourtant cela ne correspond pas aux usagers observés et aux témoignages recueillis.

 

1.2. Des usages particuliers, plutôt fonctionnels

 

Les pratiques que nous avons pu observer, comme les pratiques déclarées, font apparaître un certain nombre de caractéristiques qui rapprochent l’usager Cyberposte de l’internaute lambda tout en faisant sortir quelques attributs saillants quant aux usages prépondérants sur cette borne. Cyberposte fait apparaître une démarche fonctionnelle et utilitaire plus que ludique.

L’achat de la première carte est presque toujours motivé par un véritable projet d’utilisation de l’Internet. La précision des projets mérite d’être soulignée car elle confirme le caractère finalisé et ponctuel du recours à Cyberposte (informations à usage scolaire, demande de bourse, création de boîte aux lettres, recherche d’emploi). Ce sont des projets volontaristes et des utilisations très ciblées. Ceci est d’ailleurs confirmé par les agents de contact.

Les pratiques de “ curiosité ” et/ou d’initiation à l’Internet apparaissent très minoritaires. Ce résultat d’étude est d’autant plus remarquable qu’il est tout à fait contraire aux pratiques observées dans les stages de sensibilisation aux NTIC proposés par les institutions éducatives et les collectivités. La distinction entre les usages de services marchands et les pratiques d’initiation gratuite est manifeste. A la différence des opérations de sensibilisation/promotion conduites par France Télécom et sa filiale Wanadoo (stands d’initiation installés en place publique ou dans les centres commerciaux), l’aspect événementiel et initiatique n’est privilégié ni dans l’offre de service, ni dans la communication de Cyberposte. Cela explique que les Internautes de la Poste se déclarent ainsi au moins initiés à l’informatique, sinon au réseau électronique, préalablement à leur première utilisation de la borne.

 

Après avoir généralement atteint leurs objectifs initiaux, ou leurs projets avoués, les utilisateurs laissent apparaître une certaine inertie dans leurs usages. D’une connexion à l’autre on remarque peu d’extension vers d’autres projets. Les internautes de La Poste rendent compte d’usages plutôt répétitifs et se montrent peu enclins à l’exploration des fonctionnalités et services multiples du réseau.

Même lorsque les projets initiaux sont élargis, on note que les pratiques restent finalisées pour des demandes précises. L’exploration curieuse du réseau n’est pas de mise. A la différence d’autres lieux, notamment les cybercafés, le bureau de poste ne se prête pas à un usage ludique et convivial de l’Internet (l’usage des jeux par exemple est absent de même que la consultation de liste de diffusion ou le “ chat ”). Le bureau de poste est vécu comme un lieu fonctionnel dédié à des opérations précises, sérieuses, sinon urgentes.

Un certain nombre d’usages préférentiels ressortent : le courrier électronique et la recherche d’informations sur les sites. L’extrême diversité des sites fréquentés est le reflet attendu des préoccupations très ciblées.

Le prix de la carte (rechargeable) est un facteur décisif des modalités d’usage. Le choix d’accéder à Internet par Cyberposte résulte de la particularité du lieu (fonctionnalité de La Poste) et du mode de tarification.

Les usagers, marqués par les offres promotionnelles de connexion à domicile, considèrent le prix comme élevé. La perception du prix induit un usage pour des besoins relativement précis et ponctuels qui ne requièrent pas une consultation prolongée. C’est dans ce sens que le prix n’apparaît pas comme une variable discriminante dans l’accès à Cyberposte. Néanmoins c’est le prix qui empêche une navigation de découverte en prenant son temps. Cyberposte peut-être ainsi considéré comme un dépannage, ce qui semble à relier avec l’acceptabilité (relative) du prix. L’usager répond à un besoin identifié plus qu’il ne développe un plaisir.

L’achat, le suivi de consommation, puis le renouvellement de la carte induisent un comportement d’auto-contrôle sur la durée de connexion. Les usages, plus fonctionnels que ludiques ou de découverte découlent en partie de ce  mode de tarification. L’auto-contrôle est aussi attesté par les achats de recharges qui se font majoritairement avec le crédit-temps minimum. Il n’y a pas de phénomène d’aléa moral pouvant induire des usages sur des longues plages de temps. Par contre pour l’usage des périphériques, principalement l’impression, la gratuité induit un aléa moral et l’on retrouve de fortes consommations de papier.

L’usager de Cyberposte semble utiliser le potentiel que constitue un dispositif multisite. La connaissance du dispositif rend possible une pratique nomade. Il n’est cependant pas certain que la pratique dans plusieurs bureaux soit un phénomène statistiquement important, même si un déclaratif existe. Néanmoins le potentiel que constituent les autres bornes Cyberposte (soit proches en cas de panne, soit éloignées en cas de déplacement sur le territoire national) valorise fortement le dispositif du point de vue de l’offreur (Cf. l’annuaire Cyberposte comme outil de communication mis en avant par la direction marketing). C’est ainsi que les utilisateurs plébiscitent l’extension des bornes autant dans les bureaux de postes que dans d’autres lieux publics. Réciproquement on peut considérer que Cyberposte constitue un phénomène d’attraction pour les bureaux équipés.

 

2. Rencontre d’un espace public avec des pratiques privées : explications sémio-pragmatiques

 

L’implantation d’outils d’accès à Internet s’est multipliée, et cela dans des lieux très divers (médiathèque, gare, agence bancaire station de métro, mairie…). Bien que ces lieux soient publics, ils différent du point de vue des ambiances et cela influe sur les comportements des usagers.

On peut distinguer deux types d'espaces distincts: l'un feutré, silencieux, propice à la confidentialité des échanges et à une certaine forme de recueillement, où le public se déplace peu (mairies, médiathèques, bibliothèques et agences bancaires) ; l'autre, plus ouvert et plus bruyant, est un lieu de passage et de transit où la confidentialité et la discrétion ne sont pas de mise (halls de gares et stations de métro).

Ces deux grandes catégories d'ambiance, largement tributaires de l'architecture (lieux fermés, multiples et cloisonnés versus lieux ouverts et uniques dans le second) et de l'aménagement intérieur des espaces (murs tapissés, moquette, couleurs sombres et éclairages tamisés versus carrelages, marbre, béton, verre, éclairage vif) sont immédiatement identifiables par le public qui les fréquente et induisent chez lui des attentes particulières quant aux modalités d'utilisation des services de consultation d’Internet.

 

La question se pose de savoir à laquelle de ces deux catégories appartiennent les bureaux de Poste. La réponse n'est pas aisée, non seulement parce que les configurations de ces bureaux sont diverses et multiples, mais aussi parce que le bureau de Poste est un lieu associant un grand nombre de micro espaces, sensés correspondre à autant d'offres distinctes: espaces de services, d'échanges commerciaux, de gestion financière, de consultation, de communication, de travail et d'attente. Ceci n'est pas le cas des lieux que nous avons abordés précédemment, dans la mesure où ils ne regroupent que deux ou trois de ces micro espaces, généralement plus facilement identifiables : services et attente (mairies), consultation et travail (médiathèques et bibliothèques), échanges commerciaux, consultation et attente (gares et stations de métro), échanges commerciaux, gestion financière et attente (agences bancaires). Dès lors, deux catégories de problèmes se posent en ce qui concerne les bureaux de Poste : celui du choix de la zone d’implantation de la borne Cyberposte et celui de la diversité des attentes concernant les différents usages.

 

2.1. Usages privés, lieu public

 

L’intégration d’un service public d’accès à Internet dans l’offre de services de La Poste présente, certes, l’intérêt d’un service accessible aisément mais bute concurremment sur des exigences de visibilité et de confidentialité difficilement compatibles avec la fréquentation et les usages d’un bureau de poste.

Au risque de complexifier le rapport entre l’offre d’accès à Internet et les logiques d’usages qui président à une demande réelle (ou potentielle), il faut considérer l’ensemble des tensions maintenues ou rompues entre l’offre et la demande.

 

Schéma 1. Cyberposte et les contraintes de son intégration

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces tensions et ruptures sont caractérisées par deux principaux couples (axes) d’opposition socio-sémiotiques constitutifs des difficultés d’intégration de la borne Cyberposte

 

Unité versus autonomie :cette opposition rend compte des difficultés d’intégration de l’offre Cyberposte dans la pluralité de services postaux qui lui préexistent.

Cette dichotomie est caractéristique des contraintes paradoxales d’homogénéisation et de différenciation pesant sur la mise en scène et en service des bornes d’accès à Internet. Nous avons notamment vérifié que les bornes Internet, relativement conformes à l’esthétique postale, mobilisent toutefois des pratiques de recherche ou des usages épistolaires peu compatibles avec le temps et l’espace des échanges sociaux en bureau de poste. À ce titre, nous avons pu observer combien l’usage des services automatiques (monnaie, affranchissement, prêts-à-poster, points phone,…), dont l’utilisation effective fut déjà hésitante aux premiers temps de leur mise en service présentent des contraintes d’utilisation bien moindres que n’en imposent Cyberposte. L’intégration des automates dans l’architecture-même du bureau contraste nettement avec une installation “ par défaut ” des bornes Cyberposte.

 

Protection versus accessibilité : les logiques d’usage mobilisées dans l’utilisation d’Internet oscillent entre deux pôles d’exigence.

L’interactivité homme/machine commande de protéger les utilisateurs. Cette protection est double : elle doit, d’une part, être respectueuse de la confidentialité (secret) des utilisateurs et, d’autre part, leur garantir un minimum de confort dans l’utilisation individuelle et souvent prolongée d’Internet (protection contre les nuisances sonores et les mouvements à l’intérieur du bureau). Il va de soi que la fiabilité technique du matériel participe de l’accessibilité du service et de son confort d’utilisation.

A contrario, la mise en libre service de Cyberposte et l’hétérogénéité de l’offre proposée dans les bureaux (ne serait-ce que par les automates) impliquent l’accessibilité aisée de Cyberposte. Cette exigence, satisfaite par la localisation du bureau et ses heures d’ouverture, est toutefois compromise par l’attente des internautes en période d’affluence. Surtout, l’identification immédiate et l’éventualité d’une interactivité partagée (assistée par un agent d’accueil ou accompagné par un co-utilisateur) nécessite une visibilité du service et un aménagement de l’espace souvent contrarié par une implantation de la borne a posteriori (faute d’espace, faute de raccordement, faute de signalétique adaptée…). L’isolement de Cyberposte observé dans la plupart des bureaux constitue à ce titre un obstacle majeur à la reconnaissance et à l’accessibilité du service.

Ces deux axes scindent l’espace du bureau de poste et, plus sûrement encore, le champ des pratiques effectives de Cyberposte par une série d’options privilégiant, tantôt, le lieu public singulier d’utilisation, tantôt l’intimité de pratiques dans lesquelles priment le plus souvent le confort et la confidentialité. Sphère privée versus lieu public, cette opposition doit être rapportée, d’une part, au contexte physique, marchand et institutionnel de l’offre et, d’autre part, à la sphère intime dans laquelle opère l’interactivité homme/machine. La tension (et/ou rupture) tient pour beaucoup au décalage entre l’interactivité mobilisée dans l’usage d’Internet et les interactions sociales à l’œuvre dans un espace commun de services au public.

 

2.2. Différentes logiques d’intégration de la borne dans le bureau de Poste

 

La grande diversité architecturale des bureaux étudiés a permis d’observer une grande diversité de l’intégration du dispositif Cyberposte. Cette intégration est directement liée à la configuration du bureau et peut revêtir plusieurs formes qui sont autant de reconfigurations possibles de l’espace du bureau. D’autre part, et bien qu’elle soit laissée à la libre appréciation de chaque établissement, l’implantation de la borne est soumise à cinq paramètres immuables :

·                  la gestion des flux clientèle (circulation et attente),

·                  les branchements électriques,

·                  la proximité souhaitable du point d’accueil et éventuellement des services télécom et/ou automates,

·                  sa bonne visibilité,

·                   le respect de la confidentialité pour les utilisateurs.

 

De l’avis des utilisateurs et des non-utilisateurs de Cyberposte  interrogés, il est rare que la borne soit simultanément adaptée aux exigences de visibilité, d’accessibilité et de confidentialité d’un tel service. On constate d’ailleurs une incompatibilité relative entre l’accessibilité de Cyberposte et la protection des utilisateurs. Partant de ces considérations, une première analyse permet de relever deux types principaux d’implantation de la borne :

·                  L’intégration spontanée. Dans certaines situations la borne s’intègre spontanément dans un espace préexistant du bureau qui regroupe tous les paramètres cités ci-dessus. L’implantation du dispositif Cyberposte peut ainsi satisfaire à la triple exigence de visibilité/accessibilité/confidentialité.

·                  L’intégration non spontanée. Lorsque la borne ne s’intègre pas spontanément dans un espace préexistant, on trouve deux cas de figure

1-                L’implantation se fait dans le respect des cinq paramètres prédéterminés mais nécessite pour cela un(des) déplacement(s) de la borne et/ou un réaménagement de l’espace du bureau. Dans la plupart des cas un tâtonnement conduit à déplacer la borne plusieurs fois.

2-                Il se peut aussi que l’implantation se fasse sans que l’un ou plusieurs des cinq paramètres ne soient respectés. Ce cas de figure, très courant, conduit à la création de cinq formes distinctes d’espace de consultation du service Cyberposte. De fait l’implantation privilégie un des éléments suivant confidentialité, visibilité, contingences techniques, facilitation de la gestion des flux clientèle, intégration dans un espace préexistant.

 

3. Plusieurs lectures possibles pour l’intégration dans La Poste 

 

L’étude de Cyberposte nous montre que le dispositif ne correspond pas nécessairement à ce qui était (et pouvait) être attendu. Les usages développés, comme le profil des usagers n’est pas celui que la mission Cyberposte avait a priori identifié. Mais il convient de préciser ici les conditions dans lesquelles la “ mission ” opère. Dans le même sens les questions posées par la mise en scène de Cyberposte et la gestion de l’espace dans le bureau de poste montrent que l’offre est insuffisamment caractérisée. Tout comme pour l’usage, l’espace fait apparaître un décalage entre les potentialités du service et les représentations de la clientèle. Cyberposte ne constitue pas à proprement parler un dispositif abouti. Cela mérite d’être expliqué par les conditions de la mise en œuvre de cette offre. Cela permet de caractériser une modalité de création d’une nouvelle offre par La Poste (qui n’est bien évidemment pas la modalité principale ou exclusive).

 

3.1. Cyberposte une mission temporaire

 

Cyberposte trouve son origine dans l’injonction du politique (Lionel Jospin à Hourtin en 1997). La Poste est investie d’une mission visant à favoriser l’accès de ceux qui en sont exclus. La Poste développe ainsi un accès à Internet dans les bureaux de poste pour un large public. Le dispositif ne relève donc pas d’un choix de la direction ce qui donne une dimension de charge financière et organisationnelle, plutôt que d’innovation.

La dénomination de “ mission ” indique la temporalité et le caractère délimité dans le temps du projet : 1000 bornes en 18 mois. L’objectif ainsi défini correspond à une intention de discours politique mais cette obligation laisse des marges de manœuvre pour la réalisation effective. Cyberposte constitue une action non planifiée ; il n’y a pas de volonté de mener une expérimentation, et Cyberposte ne rencontre pas de projet allant dans ce sens

 

3.2. Une offre imprécise

 

Le dispositif est marqué par une imprécision quant à la définition même de l’offre de Cyberposte, qui se trouve autant dans le discours des usagers que dans les différents discours internes tenus à propos du produit.

Cyberposte est essentiellement un accès physique à Internet. Si on accepte cette définition alors il est nécessaire de réfléchir à son économie propre (coût, rentabilité …). Cette offre seule n’est pourtant pas très cohérente dans le portefeuille de produits de La Poste. Néanmoins c’est l’accessibilité physique qui prévaut dans la directive originelle.

L’offre d’accès physique a été complétée par un portail, faisant entrer Cyberposte dans une logique de consommation en ligne (notamment offre des produits de La Poste). Cette distribution se développe conjointement à une offre en bureau. Les flux de consommation passant par le portail sont perdus pour la DRGP (Direction du Réseau Grand Public), expliquant la difficulté de cette direction à gérer Cyberposte. La complémentarité en terme de distribution de services est vécue comme une concurrence en ligne pour la DRGP. Cependant les bureaux de Poste ne vivent pas cela comme une concurrence, mais un comme un facteur les valorisant, les particularisant.

Dans la logique de distribution, l’implantation des bornes pourrait être déconnectée des bureaux. C’est par ailleurs l’objet de l’offre “ Cyberposte+ ” dans différents lieux publics mais qui n’est pas proposée par la même direction de La Poste. On trouve ici trace de rivalités internes.

 

A l'origine du dispositif Cyberposte, la dimension pédagogique (accès des “ exclus ”, non initiés…) constitue une donnée sensible. La formation des usagers serait un travail préalable aux projets “ laposte.net ”. C’est le travail de conseil des agents de contact (emplois-jeunes). Toutefois il n’y a pas de lien direct entre Cyberposte et ce projet. De plus les usagers néophytes s’avèrent peu nombreux et considèrent les interventions comme techniques et non comme formatives. La position des agents de contact est donc duale.

L’offre, et plus généralement l’environnement marketing, est indécise. La borne est, plus que les autres moyens de communication mis en œuvre, le principal média rendant visible Cyberposte. Néanmoins on ne sait pas si la borne est sensée faire sa propre publicité ou si elle est utilisée à d'autres fins (valorisation du bureau, de l'image de La Poste…). Même si le prix est une variable peu maniable on note différents blocages des projets de tarifs dégressifs. Les coûts de mise en œuvre de différents dispositifs ont été considérés comme disproportionnés par rapport au chiffre d’affaire de Cyberposte. Cela atteste d'une durée de vie escomptée relativement réduite pour Cyberposte...

 

3.3. Centralisation et contrôle

 

Le flou organisationnel induit un décalage entre des motivations commerciales et une structuration non durable. La plupart des outils de marketing ne suivent pas le chaînage décisionnel centralisé : procédure validée hiérarchiquement et mise en œuvre locale. Le service marketing fonctionne comme un prestataire de service interne en répondant aux sollicitations des bureaux et non comme l’organe définissant un plan directif. La variété des initiatives locales, atteste d’une forte décentralisation. Cela donne cependant plus une apparence de débrouillardise sur le terrain qu'une construction en amont.

Ceci est éclairé par l’historique des plans marketing : le plan 1999 et les plans trimestriels n’ont pas été validés en l’état ; il n’y a donc pas de ligne claire.

En contraste les décisions de fond (renouvellement et choix du matériel, dépannage, formation…) semblent fortement centralisées. Cela ne manque pas de rendre difficile la gestion de l’accueil.

Si les remontées d'information existent, notamment du fait des liens entre la mission et le terrain, il n'y a pas d'appareillage d’information systématique. Ces informations permettent une vision d’ensemble mais ne développent pas d’analyse de segmentation des clientèles ni d’éléments comportementaux.

La faiblesse des outils de contrôle peut attester de l’aspect secondaire de la démarche commerciale et de la démarche d'innovation.

Finalement, Cyberposte ne constitue pas à proprement parler un dispositif commercial abouti. C’est une mission dont la finalité n’est ni de perdurer ni de dégager du chiffre d’affaire ou de la rentabilité. Pourtant la mission engage une dynamique marketing et définit un poste de responsable marketing au niveau national. Le caractère réduit des moyens d’évaluation globale de Cyberposte ainsi que des choix techniques axés sur le court terme (version de Mac Intosh, logiciels, système de carte…) attestent d’un dispositif qui est développé sans ambition de perdurer.

La gestion des emplois des agents de contact, bien qu’elle n’ait pas fait l’objet d’une étude approfondie, laisse entrevoir là encore un dispositif flou dans son organisation et dans ces directives. La double affectation des agents de contact aux fonctions d’accueil-renseignements et d’assistance Cyberposte constitue sans doute un avantage pour l’accessibilité à Cyberposte, mais limite d’autant la disponibilité des agents. Il faut souligner l’engagement dont témoignent ces agents de contact dans la promotion de Cyberposte et l’accompagnement des utilisateurs. Polyvalents, ces emplois-jeunes jouent en effet un rôle de relais essentiel entre les différents services et contribuent à la bonne gestion de flux.

Cependant la formation de ces “ encadrants ” n’est pas généralisée, le temps de formation et d’auto-formation apparaît aux agents de contact comme étant insuffisant. Enfin la gestion des postes (le fort turn-over notamment) entraîne une certaine précarité dans le suivi du service.

Il est difficile de se prononcer sur ce qu’est censé représenter Cyberposte… Même si la réponse est que c’est une mission imposée et non planifiée. Le dispositif constitue une offre grandeur nature sans que l’on puisse pourtant discerner les différentes phases préalables à une expérimentation. Quels sont les objectifs et stratégies ? Quelle analyse économique fait-on de Cyberposte ? Comment tire-t-on les conclusions de cette période de mise en place ?

Ainsi on ne peut pas parler d’innovation, pourtant certains éléments sont significatifs et devraient pouvoir permettre de délimiter une dynamique construite.

 

Quelle perspective ?

 

L’image de Cyberposte apparaît dans l’enquête comme bonne et légitime, elle pourrait conduire au une ou des innovations de services… sous certaines conditions.

L’enquête montre que l’initiative paraît justifiée, pour plusieurs raisons : d’abord, la mission de service public de la Poste qui se trouve ainsi bien mise en œuvre. Ensuite, à cause de la proximité et de la multiplicité des bureaux entendue comme un gage d’accessibilité et de mobilité. Cyberposte offre enfin toute une série de commodités : une offre “ sur mesure ”, une alternative à l’absence d’équipement, la possibilité d’accéder aux informations plus rapidement. Il est en résumé le prolongement  et la modernisation de la  logique du service “ courrier ”.

Ainsi l’initiative de La Poste est saluée par la plupart des personnes interrogées.

La légitimité de La Poste est très généralement reconnue. Non seulement l’enquête montre que Cyberposte est perçu comme un renforcement du courrier postal mais en plus le dispositif s’intègre dans l’ensemble des services de télécommunication disponible dans les bureaux. Cela atteste de l’intérêt du service et sa conformité à la vocation de La Poste.

A l'origine du dispositif, la dimension pédagogique constitue une donnée sensible. La formation des usagers serait un travail préalable aux projets “ laposte.net ”. Pourtant, les usagers néophytes s’avèrent peu nombreux et considèrent les interventions des agents de contact comme techniques et non comme formatives. La légitimité de La Poste dans ce projet semble au rendez-vous mais rien ne nous indique qu’un lien organisationnel soit fait entre Cyberposte et la généralisation de l’adresse “ laposte.net ”.

Doit-on alors tenter de comprendre Cyberposte dans une perspective de communication d’entreprise ? Cyberposte peut participer à l’image de La Poste, avec une dimension d’ouverture vers les publics et une dimension nouvelles technologies, pourtant la mission s’oriente plus vers une communication produit que vers une communication image. On peut alors se demander comment cette dimension institutionnelle est travaillée et comment se fait la capitalisation en terme d’image auprès du public et de la société. S’agit-il de développer la communication corporate, d’élargir l’offre de services ou de valoriser le bureau ? Qui s’approprie Cyberposte en interne ?

 

Une attente en terme de maillage plus dense et en terme de construction d’un espace plus dédié à Internet est manifeste, et cela même si les utilisateurs font observer plusieurs limites techniques et ergonomiques de la borne (notamment l’absence de lien avec les fonctionnalités traitement de texte).

Si l’on aperçoit bien que Cyberposte est une situation ne découlant pas d’un projet, on doit tout de même relever que l’appropriation par les usagers ne correspond pas aux objectifs politiques et sociaux signifiés à la mission. Le sujet interprète et qualifie Cyberposte, et le système de prix comme le dispositif spatial invalide la dimension initiatique. La volonté publique de favoriser un large accès à Internet et notamment de permettre une initiation pour les néophytes se heurte de façon assez manifeste au dispositif mis en place, que ce soient les conditions tarifaire, les conditions d’usage ou les conditions de coproduction du tâtonnement (découverte d’Internet avec d’autres publics susceptibles d’interagir).

La prédétermination des usages n’aboutit que par interaction et co-construction, dans le temps. Or les conditions de mise en espace et de tarif ne permettent que difficilement la co-construction du savoir-faire en matière de pratique sur Internet. Les fonctionnalités comme le profil des usagers montrent que si ce dispositif fournit des informations importantes quant à des directions stratégiques pour La Poste (autant pour sa stratégie Internet que pour son image ou le positionnement du bureau comme distributeur de services) on ne voit pas encore comme La Poste capitalise cela. Cyberposte comme dispositif public d’accès à Internet, issu de la volonté du gouvernement en rencontrant

 

 

Bibliographie

 

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Lamarche T. (2000), “ Service public : nouvelle rationalité des acteurs ou nouveau marché ? ”, Etudes de communication, n° 23, Université Charles de Gaulle Lille3.

 

 



[1] pdelabroise@nordnet.fr ; lamarche@univ-lille3.fr, IUP Infocom rue V Auriol, BP 35, 59051 Roubaix.

[2] Patrice de la Broise, Stéphane Benassi, Elisabeth Fichez, Thomas Lamarche et Sophie Vanruymbecke.