La “télé-médiation” dans les services publics :
changements dans le travail et dans les usages

 

Gérard Valenduc
Fondation Travail-Université
Centre de recherche Travail & Technologies
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Cette communication présente des résultats issus d’une étude réalisée en Belgique pour l’objectif 4 du Fonds social européen : “adaptation des travailleurs aux mutations technologiques”. Elle porte sur les changements organisationnels et les transformations du travail liées au développement de la “télé-médiation” dans la prestation de services destinés au grand public. L’étude concerne à la fois des services marchands et non marchands (publics ou associatifs), mais cette communication se référera en priorité aux résultats qui concernent les services non marchands.

Le cadre conceptuel : la notion de “télé-médiation”

L’expression “télé-médiation” désigne toutes les formes de médiation des technologies de l’information et de la communication dans la relation entre un prestataire de services et ses clients, usagers ou affiliés. La médiation de la technologie complète ou remplace la relation face à face. L'intégration de la technologie dans la relation de service se fait à des degrés divers selon le type de service, l'objectif visé et le processus de prestation choisi : une communication téléphonique assistée par ordinateur, un service en ligne, un guichet en réseau ou d'autres formes d'assistance informatique en ligne.

Le contact entre le client ou l’usager et le prestataire de services n'a pas disparu mais il est modifié ; il est plus ou moins dense selon la technologie et l'organisation mises en place. Pour les activités de service plus complexes ou plus consommatrices de temps, comme les activités de conseil par exemple, les contacts se font soit face à face, soit par l'intermédiaire du téléphone ou de l'ordinateur. A cet effet, certains services publics, à l’instar des services marchands, mettent en place des plates-formes téléphoniques internes ou sous-traitent une partie de leurs activités à des entreprises spécialisées dans les services à distance (centres d’appel). Par contre, pour les activités plus standardisables, l’usager prend en charge lui-même une part de plus en plus grande de la prestation. Dans certains cas, la technologie remplace totalement l'interaction humaine. On assiste alors à une montée en puissance du self-service. L’usager fait lui-même les choix et prend ainsi en charge la relation de service et la prestation du service.

Si cette évolution technologique modifie les pratiques de travail, elle suppose aussi de nouvelles compétences pour les usagers des services. Ceux-ci sont amenés à participer à la relation de service, aussi bien dans des situations totalement automatisées qu’à différents degrés dans le processus de prestation du service. Cette participation ou coproduction varie selon le degré d'intégration technologique : l’usager fournit des informations, encode des données, choisit des options.

La méthodologie

La recherche comporte quatre phases principales. La première phase consiste en une étude des tendances actuelles et à moyen terme dans le développement des diverses formes de médiation de la technologie dans la relation de prestation de services, ainsi que des facteurs contextuels, de type économique, social ou politique, qui expliquent et motivent ces changements structurels dans la relation de service. La deuxième phase repose sur une série d’études de cas, dans des services marchands et non marchands. Ces études de cas se basent sur des entretiens semi-directifs avec des responsables des services concernés et des travailleurs confrontés aux nouvelles situations de travail. Dans le cadre de la présente proposition, on utilisera essentiellement le matériau provenant des études de cas dans des services non marchands : trois administrations communales, un organisme régional de formation professionnelle et une confédération mutualiste. La troisième phase consiste en une analyse comparative des offres et des demandes de formation professionnelle liées aux situations de travail caractérisées par la télé-médiation. Dans la quatrième phase, une série de conclusions et de recommandations seront formulées par rapport aux finalités du programme Objectif 4 du Fonds social européen, à savoir les modalités d’adaptation des travailleurs aux mutations technologiques.

La recherche a une durée de 21 mois, de juillet 1999 à mars 2001. Le rapport final sera remis au Fonds social européen et à la Région wallonne, qui cofinance le projet, en avril 2001. La présente proposition de communication repose donc sur des résultats actuellement intermédiaires, mais qui seront définitifs au moment de la conférence du CREIS.

Des changements organisationnels dans la relation de service

Plusieurs configurations ont été étudiées, selon le degré d’interaction entre le prestataire de services et l’usager :

      les services avec interaction directe en front-office, en face à face avec l’usager ;

      les services avec une interaction indirecte en front-office, où le contact est médiatisé par le téléphone ou l’ordinateur (Téboul J., 1999) ([1]).

 

 

Dans le cas des services avec interaction directe, deux configurations organisationnelles de télé-médiation ont été étudiées :

      Le “guichet à trois” est caractérisé par une relation de service où trois interlocuteurs sont indispensables : l’employé, l’usager et l’ordinateur de guichet relié à un réseau. Ces guichets de nouvelle génération se distinguent des guichets traditionnels, où l’ordinateur est avant tout un outil d’information à l’usage du personnel et propre à la gestion interne. Dans le “guichet à trois”, la relation de service est prise en charge par des “prothèses technologiques” (bases de données en ligne, formulaires électroniques, systèmes experts) qui soutiennent et gèrent cette relation et permettent de la conclure.

      Le service mobile consiste à déplacer le lieu de prestation du service à proximité immédiate de l’usager et à faire réaliser cette prestation par un employé physiquement itinérant, mais virtuellement intégré à son institution. Encore peu répandu dans les services publics, mais fréquent dans la maintenance, l’assistance et le conseil, le travail mobile concerne cependant des métiers plus spécialisés, comme les formateurs, les inspecteurs, les contrôleurs.

Dans le cas où il n’y a plus qu’une interaction indirecte avec l’usager, deux configurations organisationnelles ont également été étudiées : les services simplifiés et les services automatisés.

      Dans les services simplifiés, l’usager est pris en charge avec la même attention que dans une interaction directe, mais la technologie remplace le contact. La relation est cependant différente de celle d’un guichet, elle s’inscrit davantage dans une recherche de simplification, de rapidité et d’efficacité ; les plates-formes téléphoniques, internes ou externes, appartiennent à cette catégorie.

      Dans les services automatisés, par contre, la prestation est prise en charge par l’usager ; c’est lui qui agit, et non plus le prestataire. Si celui-ci intervient encore, c’est en aval du processus et dans des tâches d’arrière-scène (back-office). C’est le cas notamment des formalités administratives en ligne, ou de la fourniture d’informations publiques à travers des bornes interactives ou sur Internet. Il s’agit en quelque sorte d’un self-service informationnel.

Le développement de services simplifiés ou automatisés relève d’une logique d’industrialisation des services (Perret, 1995) ([2]), qui touche aussi les services publics. Perret distingue trois catégories de services : les services relationnels faiblement qualifiés, les services relationnels hautement qualifiés et les services qui peuvent être codifiés et standardisés. C’est cette dernière catégorie qui est la plus exposée au développement du self-service et à la simplification de la relation de service, par le recours à la médiation de la technologie.

Une transformation des qualifications et des compétences des employés

Sur le plan des qualifications et des compétences, les situations de télé-médiation mettent en évidence l’émergence de compétences communicationnelles et comportementales : la gestion d’une conversation, l’aptitude à “sourire au téléphone”, la maîtrise des émotions, la réactivité, l’implication personnelle, etc. Celles-ci sont déjà requises dans un certain nombre de fonctions commerciales, mais elles se généralisent aujourd’hui à des univers professionnels où elles étaient rarement mises en œuvre, notamment au sein des administrations. Les changements les plus radicaux concernent les employés qui étaient occupés exclusivement à des tâches administratives ou de gestion en back-office et qui se trouvent confrontés à la diversité, la complexité, les aléas ou le stress d’une relation instantanée avec des usagers.

Nos observations confirment une tendance générale, relevée dans d’autres études ([3]) et traitées par plusieurs autres auteurs : la notion de qualification, qui a une dimension essentiellement collective et qui est liée au poste de travail, à la relation contractuelle et aux rapports sociaux négociés, perd du terrain au profit de la notion de compétence, qui est attachée à des attitudes et des comportements et qui a une connotation nettement plus individuelle, même s’il est évident que les compétences sont socialement construites.

La recherche met également en évidence une certaine difficulté à trouver, face à ces changements, des réponses adéquates en termes de formation professionnelle. Les nouvelles exigences en matière de communication ne diminuent pas l’importance des qualifications liées à des métiers ou à des techniques. Elles ne sont pas indépendantes du niveau ni de la qualité de certains savoirs clés et compétences de base, comme par exemple la maîtrise d’une ou plusieurs langues, l’expression correcte, le raisonnement logique sur un diagnostic.

Télé-médiation et self-service, des défis pour les services publics

D’une manière plus générale, le transfert d’une part croissante du processus de prestation des services vers les clients ou usagers pose la question des compétences requises ou attendues de leur part. Dans les services marchands, le développement de la télé-médiation et du self-service repose très souvent sur une segmentation de la clientèle et une personnalisation différenciée selon les publics cibles (“customisation of services”). Mais la segmentation et la personnalisation conduisent aujourd’hui à des situations de discrimination ou d’exclusion.

Une telle évolution serait politiquement et socialement inacceptable dans les services publics. L’obligation de service universel, qui caractérise les services publics, contraint ceux-ci à aborder d’une manière différente l’évaluation des coûts et des bénéfices sociaux de la télé-médiation.

 



([1])        Téboul J., Le temps des services, une nouvelle approche du management, Editions d’Organisation, Paris, 1999.

([2])        Perret B., L’industrialisation des services, dans Banc G. & al., Le travail au XXIème siècle, Eurotechnopolis / Dunod, Paris, 1995.

([3])        Vendramin P., Valenduc G., L’avenir du travail dans la société de l’information, Editions L’Harmattan, Paris, 2000.