UNIVERSITE PARIS DAUPHINE

 

 

 

 

DEA « Marketing et Stratégie »

 

Septembre 2002

 

 

 

 

 

 

 

MEMOIRE FINAL (Résumé)

 

 

 

 

 

 

VIE PRIVEE ET INTERNET :

 

Etude de l’influence des caractéristiques individuelles et situationnelles

sur les attitudes et les comportements des internautes face à la collecte

et au traitement de leurs données personnelles à des fins commerciales

 

 

Directeur de recherche : Pierre VOLLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Caroline LANCELOT MILTGEN


I – CONTEXTE DE LA RECHERCHE

 

         A – Intérêt du sujet

 

Depuis une vingtaine d’années, les nouvelles technologies de l’information ont accru la possibilité, pour les entreprises et les administrations, de collecter, conserver, lire, partager et utiliser les informations personnelles des citoyens. Ces activités ont eu de nombreux effets favorables sur l’économie en général et des avantages certains pour les consommateurs, notamment un meilleur ciblage des propositions commerciales reçues. Cependant, des effets pervers liés à la connaissance de ces données ont également été mis à l’ordre du jour, notamment ceux liés à la discrimination des offres d’une part et à l’invasion progressive de la vie privée des personnes d’autre part. Car, si ces informations améliorent la capacité des entreprises à répondre de manière personnalisée à leurs clients, ces derniers sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à considérer la collecte et l’utilisation de leurs données personnelles comme une intrusion dans leur intimité, même si certains se montrent plus compréhensifs.

 

Aux Etats-Unis, c’est dans les années 80, avec le développement des bases de données et du marketing direct, que la question de la protection de la vie privée des personnes s’est réellement posée. En France, l’opinion publique est encore aujourd’hui relativement peu mobilisée face aux conséquences des pratiques de collecte et de traitement des données personnelles des consommateurs. Si on ne connaît pas vraiment l’opinion des citoyens français à ce sujet, on sait par contre qu’elles représentent désormais un enjeu majeur pour un grand nombre d’entreprises. Comme le souligne Pierre Tabatoni, président du groupe d’étude « Société d’information et vie privée » à l’Académie des Sciences Morales et Politiques : « dans la nouvelle économie fondée sur l’innovation technologique et le rôle central accordé aux consommateurs par le marché, les données personnelles représentent une ressource compétitive essentielle », signe de la nécessité pour les entreprises de les collecter, sans créer pour cela de préjudice majeur à leurs clients. L’importance et la variété des réactions que ce sujet suscite amènent ainsi à se demander en quoi consiste réellement le respect de la vie privée du consommateur pour engendrer des oppositions aussi vives et des opinions aussi contrastées.

 

La nature interactive et internationale d’Internet présente un environnement unique dans lequel le problème du respect de la vie privée se trouve renforcé, tout en engendrant de nouvelles préoccupations, dont la majorité résultent de la facilité avec laquelle les données peuvent être collectées, stockées et échangées à travers ce canal. Des recherches ont ainsi montré qu’une des préoccupations provenaient du volume de sollicitations par e-mail qu’un internaute pouvait recevoir et ce, sans l’avoir toujours demandé et parfois même sans avoir divulgué de manière volontaire ses données personnelles. Face aux conséquences que ces pratiques font peser, notamment en termes de perte d’anonymat et d’intrusion dans leur intimité, de plus en plus de gens se disent concernés par ce phénomène et envisagent de se comporter différemment. Ainsi, certains avouent désormais limiter la divulgation de leurs données personnelles ainsi que leurs achats en ligne. De plus, des sondages montrent que c’est une des raisons qui pourrait expliquer que certaines personnes ne souhaitent pas utiliser Internet. Ainsi, au-delà de la simple préoccupation d’une frange de plus en plus importante de la population, c’est donc tout un pan de l’économie qui pourrait être menacé par ce phénomène. Le fait que les pouvoirs publics, en Europe comme aux Etats-Unis, se soient saisis de ces questions soulignent l’importance du sujet et la nécessité de trouver rapidement des solutions. Les entreprises elles-mêmes commencent à comprendre la gravité de la situation et l’obligation d’engager rapidement un processus de négociation afin de redonner confiance aux cyber-consommateurs et renforcer ainsi la croissance du e-commerce.

 

         B – Les manques théoriques à combler

 

Plusieurs recherches ont déjà été réalisées, principalement aux Etats-Unis, sur ce thème de la protection des données personnelles des consommateurs. Si la majorité d’entre-elles avaient jusqu’ici pour cadre le marketing direct « off-line », celles-ci se sont récemment intéressées plus spécifiquement au cas d’Internet, notamment parce que les particularités de ce média laissent penser que la préoccupation des consommateurs pour la protection de leur vie privée au sein de ce canal y sera plus forte ou différente.

Toutefois, malgré ces études, on sait encore relativement peu de choses sur le type d’informations considérées comme privées par les gens, de même que sur les raisons qui expliquent qu’ils les considèrent ainsi. On s’interroge également toujours sur le fait que les perceptions semblent évoluer selon les situations ou en réponse à d’autres facteurs.

Les sondages réalisés auprès d’échantillons représentatifs de la population américaine font apparaître un haut niveau de préoccupation de l’opinion pour les questions relatives à la protection de la vie privée tout en soulignant à l’opposé un réel intérêt pour une meilleure personnalisation des offres commerciales. Ainsi, les attitudes et les comportements des personnes à ce sujet semblent largement diversifiées. Il apparaît dès lors intéressant de chercher à identifier les différents points de vue au sein de la population et de mieux en comprendre l’origine. De plus, les résultats des recherches américaines visant à analyser l’effet des variables démographiques (sexe, âge, CSP, ..) sur la préoccupation de la population à l’égard de la collecte et de l’utilisation de leurs informations personnelles donnent des résultats contradictoires, preuve de la nécessité de mener de nouvelles études sur le sujet.

Enfin, si les recherches évoquées ci-dessus ont été, pour la plupart, réalisées aux Etats-Unis, il faut souligner qu’aucune étude académique n’a été menée jusqu’ici en France dans ce domaine, en tout cas en ce qui concerne l’aspect marketing. Or, étant donnée l’importance des facteurs culturels sur un sujet tel que celui-ci, qui se manifeste notamment par la différence d’approche réglementaire adoptée dans les différents pays, il paraît nécessaire de chercher à savoir si les préoccupations des internautes français en terme de protection de la vie privée sont identiques à celles des américains. Nous proposons donc, à travers cette recherche, de combler ce manque.

 

C – Objectifs et questions de recherche

 

Le but de notre recherche est d’examiner les attitudes et les comportements des internautes français face à la collecte, au traitement et à l’utilisation de leurs données personnelles à des fins commerciales, sur Internet.

Aucune étude n’ayant été menée jusqu’ici sur ce sujet en France, cette recherche se veut avant tout exploratoire et descriptive. Il s’agit d’identifier, de décrire et de chercher à comprendre les perceptions, les attitudes et les réponses des consommateurs face à une sollicitation de leurs données personnelles sur Internet. La démarche se veut également explicative dans la mesure où nous avons cherché à mieux comprendre la façon dont les consommateurs perçoivent ce phénomène, en identifiant notamment les facteurs susceptibles d’influencer leur attitude et leur comportement à cet égard. Les recherches déjà menées sur le sujet ont permis d’identifier deux grands types de facteurs susceptibles d’intervenir, des facteurs individuels d’une part et situationnels d’autre part. Il s’agissait donc, pour notre part, d’identifier l’importance et l’influence de ces deux catégories de facteurs sur les attitudes et les comportements des internautes en France. Ce faisant, nous cherchions également à identifier les écarts possibles sur ce thème entre les consommateurs français et américains.

 

Plus précisément, nous avons cherché à répondre à deux questions de recherche :

1)      les internautes français ont-ils connaissance des pratiques utilisées par les sites pour collecter et traiter leurs données personnelles ? Comment les perçoivent-ils ?

2)      quelle est l’influence des variables individuelles et situationnelles sur les attitudes et les comportements des internautes français face à la sollicitation et l’utilisation de leurs données personnelles ?

 

Après un préambule sur la notion de vie privée (II) soulignant notamment l’importance des aspects historiques et culturels sur cette question et rappelant les enjeux du problème, nous présenterons le positionnement de la recherche (III), au cours duquel nous définirons les principaux concepts en jeu. Nous évoquerons ensuite notre cadre conceptuel (IV) ainsi que la méthodologie (V) utilisée pour collecter les données puis analyser et interpréter les résultats (VI). Nous terminerons en indiquant les contributions attendues de cette recherche (VII).

 

II - PREAMBULE SUR LA NOTION DE VIE PRIVEE

 

A – Approche juridique, historique et culturelle de la notion de vie privée

 

1) Europe et Etats-Unis : des conceptions différentes

 

Il apparaît que les Etats Unis et l’Europe ont des approches divergentes en matière de protection des données personnelles des citoyens, notamment d’un point de vue réglementaire. Ces écarts s’expliquent principalement par des valeurs culturelles et des conceptions différentes de la notion même de vie privée.

 

Ainsi, l’Europe a établi un véritable droit à la vie privée, qui concerne aussi bien les pratiques de collecte, d’utilisation mais aussi de partage des données personnelles des individus au sein de la société. Le droit d’accès et de vérification des données y est considéré comme un principe fondamental, qui s’étend à tous les secteurs mais aussi à tout type de données. Aux Etats Unis, ce droit au respect de la vie privée n’existe pas en tant que tel et aucune règle en la matière ne s’applique à l’ensemble des secteurs de l’économie. Toutefois, il existe des lois sectorielles (dont la plus connue s’applique au secteur du Crédit, de la Banque et de l’Assurance), ainsi que des mesures visant à protéger soit les personnes à risques (ex : les enfants) soit les données les plus sensibles (ex : dans le domaine de la Santé). Il n’existe pas non plus de bureau gouvernemental responsable de la régulation dans ce domaine. Tout est fondé sur l’autorégulation, les entreprises étant supposées appliquer des principes « éthiques » (les « Fair Information Principles ») pour toute collecte ou utilisation des données personnelles de leurs clients. L’utilisation secondaire des données (c’est-à-dire dans un autre but que ce pour quoi elles ont été collectées) est également traitée différemment de part et d’autre de l’Atlantique. Ainsi, les lois fédérales américaines requièrent que le consommateur en soit informé et qu’on lui donne le droit de s’y opposer (principe d’opt-out), ce qui implique que s’il ne s’y oppose pas ouvertement, il est admis qu’il y consent. En Europe, l’entreprise doit préalablement informer le consommateur de l’utilisation de ses données, par le biais d’une notification claire et ouverte. La procédure de l’opt-in (fait que le consommateur ait donné son accord de façon explicite) est ainsi fortement recommandée et a même été rendue obligatoire pour certains types d’informations comme celles concernant l’origine ethnique, l’opinion politique, religieuse ou philosophique, l’appartenance à un syndicat, la santé et les pratiques sexuelles.

 

Il apparaît ainsi que la notion de vie privée joue un rôle différent dans ces deux sociétés. Si en Europe, elle est considérée comme un droit humain (dont on trouve l’origine dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1950), aux Etats Unis, elle est avant tout considérée comme le résultat d’une négociation contractuelle entre les parties. Les raisons de ces différences sont à la fois historiques et culturelles.

 

 

2) l’internationalisation du phénomène

 

Au-delà de l’opposition entre l’Europe et l’Amérique au sujet du respect de la vie privée des consommateurs, il est aujourd’hui évident que, face à la mondialisation de l’économie et à la diffusion massive des nouvelles technologies de l’information, il est devenu urgent de réfléchir à des pratiques communes et à des solutions internationales. Or, si les négociations n’ont pas encore véritablement commencé, quelques avancées ont cependant été notées. Déjà, quelques voix se font entendre Outre Atlantique pour demander à ce que l’on s’inspire des règles européennes. D’autres insistent sur les risques qu’entraînerait la mise en place d’une structure fédérale pour assurer la régulation, dénonçant notamment les limites de l’action publique, jugée peu apte à réglementer de façon efficace les pratiques des entreprises à ce sujet.

De plus, les échanges croissants de données entre entreprises issues de pays différents rendent la recherche d’un consensus encore plus pressante. Des progrès ont été faits dans ce sens avec la signature, en juillet 2000, d’un accord dit « Safe Harbor » entre l’Europe et les USA, autorisant la libre circulation des informations entre les deux Continents, sous réserve d’un niveau de protection « adéquat ». Il est cependant encore trop tôt pour faire le bilan de l’efficacité d’une telle mesure, d’autant que les problèmes liés à la question de la vie privée des personnes sont particulièrement délicats et les enjeux en la matière cruciaux.

 

B – Problèmes et enjeux sur la question du respect de la vie privée

 

1) Préoccupations des consommateurs en matière de respect de la vie privée

 

Les recherches menées sur ce thème ont permis d’élaborer une taxonomie des préoccupations des consommateurs en matière de respect de la vie privée, qui reprend les principales pratiques susceptibles de les déranger ou de leur porter préjudice. Celles-ci concernent 6 aspects majeurs :

-      la collecte : fait que trop de données ou des données trop personnelles soient collectées

-      le stockage non autorisé : lié aux questions de confidentialité et d’intégrité des données

-      les erreurs : altération accidentelle ou délibérée des données

-      l’accès impropre : fait que des personnes non autorisées puissent accéder aux données

-      l’utilisation secondaire interne (invasion) : réception de sollicitations commerciales non désirées et non sollicitées

-      l’utilisation secondaire externe (transfert) : fait que les données soient cédées à d’autres

 

A ces 6 préoccupations principales, on peut en ajouter deux autres. La première est liée au respect de l’anonymat, règle souvent bafouée sur Internet avec l’utilisation des cookies, ces petits programmes informatiques qui s’implantent sur le disque dur de l’internaute, sans que celui-ci en soit toujours informé. La deuxième concerne la question de la sécurité lors de la collecte, du stockage et du transfert des données personnelles des consommateurs.

 

2) Menaces du marketing vis-à-vis du respect de la vie privée

 

La notion de respect de la vie privée s’avère évolutive, notamment selon l’époque considérée. Ainsi, les menaces pesant sur l’intimité des personnes ont été profondément renouvelées par l’utilisation des technologies modernes, tout comme a évolué parallèlement la perception commune de ce que recouvre le terme de vie privée.

Si l’utilisation par les entreprises des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour contacter et relancer leurs clients s’est révélée particulièrement efficace et rentable, elle suscite toutefois des questions éthiques, liées notamment au respect et à la protection de la vie privée des personnes. A ce sujet, il apparaît que certaines pratiques adoptées par les entreprises pour collecter et utiliser les données personnelles de leurs clients sont parfois perçues par ces derniers comme une intrusion dans leur intimité. De plus, si certaines pratiques ne sont pas forcément « menaçantes » en elles-mêmes, le problème vient souvent du fait que les personnes ne sont pas toujours informées de la collecte et/ou de l’utilisation future de leurs informations personnelles ou qu’elles n’ont pas la possibilité de s’y opposer, ce qui constitue une violation de la réglementation en vigueur.

A cet égard, l’arrivée d’Internet semble avoir accentué la préoccupation des gens quant au respect de leur vie privée, notamment du fait de l’utilisation de techniques de collecte « dissimulées », par le biais des cookies par exemple.

Cependant, il faut aussi souligner que, bien que protégé par la réglementation, le droit au respect de la vie privée est parfois difficile à assurer du fait de l’existence de conflits d’intérêt.

 

3) Un conflit d’intérêt entre plusieurs droits

 

La question du respect de la vie privée des consommateurs par les entreprises est susceptible d’occasionner 3 types de conflits d’intérêt. Le premier conflit vient du fait qu’un consommateur peut se prévaloir de droits contradictoires, comme celui d’être informé (pouvant impliquer de recevoir des sollicitations commerciales) et le droit au respect de sa vie privée (qui l’amène à refuser les offres non sollicitées). Le deuxième conflit oppose les intérêts des individus à faire respecter leur droit au respect de leur vie privée et ceux des entreprises qui disposent de prérogatives comme la liberté d’exercer le commerce et la liberté du discours commercial (reconnu par le premier amendement aux Etats-Unis). Le troisième conflit provient de la contradiction pouvant exister entre les droits de chaque individu en particulier et ceux de la société dans son ensemble, dans la mesure où le respect du droit à la vie privée de chaque citoyen peut parfois s’avérer contraire à l’établissement de l’ordre social.

Le principal conflit est celui qui oppose droits des consommateurs et droits des entreprises et qui s’exprime à travers la question du droit de propriété des informations.

 

4) Droit de propriété et marchandisation des données personnelles

 

De nombreux chercheurs ont souligné le fait que la frontière entre le moment où l’information personnelle est détenue par l’individu et où elle est transférée à l’entreprise est flou. Si certains estiment que la « propriété » des informations revient aux individus, quelques-uns uns considèrent que celle-ci n’est pas absolue et que les managers peuvent également considérer qu’elles leur appartiennent dans la mesure où ils les ont collectées et où une partie d’entre elles dérivent de la transaction elle-même. D’autres rappellent que ces derniers n’en sont pas vraiment propriétaires mais seulement des possesseurs et qu’ils ne peuvent pas en disposer comme ils le souhaitent, notamment sans en informer au préalable le propriétaire initial. De plus, le fait qu’un individu divulgue ses données ne signifie pas qu’il désire en céder la propriété ni l’usage.

 

En réalité, la vraie question qui se pose est celle de la propriété « intellectuelle » associée à un nom et aux informations qui y sont liées. La majorité des gens considèrent que si ces informations personnelles ont une valeur pour l’entreprise qui les capture, les exploite et en retire un bénéfice, alors elles devraient également en avoir pour leur propriétaire d’origine, le consommateur. D’autres rappellent que, parmi les droits de l’homme, figure le droit à l’échange et que celui-ci est aussi applicable aux informations personnelles. Le droit au respect de la vie privée pourrait donc être considéré comme un objet de commerce, les consommateurs étant récompensés en contrepartie des ressources en informations personnelles fournies aux entreprises. Déjà, on voit se mettre en place, aux Etats-Unis notamment, mais aussi en Europe, des modèles économiques pour lesquels les consommateurs sont payés en échange des informations qu’ils fournissent. Se pose alors la question de la possibilité laissée à l’individu de négocier la valeur de ses informations personnelles et de sa capacité à en fixer le prix. Or, de nombreux économistes s’accordent à souligner l’asymétrie de négociation qui existe entre les individus et les entreprises de ce point de vue. En effet, pour estimer la valeur de ces informations, il est nécessaire d’apprécier le fonctionnement des marchés où se négocient les bases de données, ce qui est difficilement faisable pour un consommateur isolé. De plus, il n’est pas certain que, dans l’économie actuelle où la valeur de l’information est primordiale, les entreprises soient prêtes à abandonner certaines prérogatives exercées depuis longtemps. En effet, la majorité d’entre-elles considèrent qu’elles disposent naturellement du droit d’usage de ces informations. Toutefois, certains spécialistes laissent entendre que, pour réduire cette asymétrie de négociation entre les parties et ainsi parvenir à une solution éthiquement correcte, de nouveaux intermédiaires pourraient voir le jour, les « infomédiaires », chargés de négocier pour les consommateurs la cession de leurs données personnelles aux entreprises. L’analyse pragmatique de la situation semble montrer que cette solution pourrait constituer un compromis efficace car a priori acceptable par les deux parties. En effet, il est certain que si les entreprises devaient désormais payer pour obtenir les informations personnelles des consommateurs, elles auraient alors intérêt à développer avec eux un véritable partenariat de manière à accroître la confiance de ces derniers afin de les encourager à divulguer leurs données et ainsi s’assurer un accès continu à l’information.

 

         C – Approche pragmatique de la situation

 

Certains économistes ont souligné le fait que, jusqu’à maintenant, les entreprises ne rémunèrent pas à leur valeur de marché les ressources d’informations qu’elles collectent auprès de leurs clients, bénéficiant ainsi d’une économie externe, que certains vont même jusqu’à qualifier d’« exploitation ». Ils démontrent également que tant qu’elles obtiennent et utilisent les informations personnelles des consommateurs sans mécanisme de marché pour en gouverner l’échange, celles-ci se comportent alors comme des électrons libres dans l’économie, autrement dit comme des « passagers clandestins ». Cette situation se perpétue car peu d’entreprises souhaitent être totalement transparentes sur leurs pratiques et recourir au principe du consentement préalable. De plus, le fait qu’elles n’aient pas à subir les conséquences de la perte d’anonymat ne les incitent pas à prendre en compte la préoccupation des gens à ce sujet. Enfin, on estime que cette situation dure tant que les individus demeurent sous-informés des pratiques en vigueur (cas de marché imparfait). Toutefois, nombreux sont les spécialistes qui considèrent aujourd’hui que la mise en place d’une politique de protection de la vie privée des consommateurs ne doit pas être une obligation. Elle constitue en effet désormais un avantage concurrentiel certain pour toute entreprise qui déciderait volontairement d’en mettre une en place, avantage capable de renforcer la confiance de ses clients et de les encourager à divulguer leurs données.

 

III - POSITIONNEMENT DE LA RECHERCHE

 

         A – Définitions des principaux concepts en jeu

 

Les deux principaux concepts à définir pour mener à bien cette recherche sont ceux relatifs à la vie privée (et à son respect ou à sa protection) et aux informations personnelles.

 

Aux Etats Unis, le premier article sur le thème de la vie privée date de 1890. Publié par Warren et Brandeis dans une revue juridique, il définissait le droit à la vie privée de la personne comme le droit d’être laissé seul (« the right to be let alone »). Or, un peu plus d’un siècle plus tard, il n’y a toujours pas de réel consensus sur la définition du concept de « vie privée ». De plus, ce terme n’a pas la même signification selon les pays ni les mêmes implications juridiques. Ainsi, aux Etats Unis, la vie privée n’est pas un droit garanti par la Constitution mais un « privilège » légal qui trouve son origine dans les 1er, 4ème, 9ème et 14ème amendements. En Europe par contre, elle fait partie des droits de l’homme, au même titre que la liberté.

 

Le concept de « protection de la vie privée » a été pour la première fois employé aux USA par Alan Westin (1967) qui le définissait comme la capacité à contrôler la collecte et l’utilisation des informations personnelles. Par la suite, l’essentiel de la littérature sur ce thème s’est focalisé sur cette idée de contrôle sur les données personnelles. Foxman et Kilcoyne (1993) ont montré pour leur part que la notion d’intrusion (et donc de menace du droit au respect de la vie privée) était spécifique à chaque individu et que le fait d’utiliser l’historique d’achat pour recommander certains produits ne devait pas nécessairement être considéré comme une violation de la vie privée. Ils ont proposé leur propre définition de ce concept, basée sur deux questions : 1) quel est le degré de contrôle des personnes sur leurs informations personnelles ? ; 2) sont-elles informées de leur collecte et de l’utilisation qui en est faite ? L’addition de la dimension « information » à celle de « contrôle » offre la possibilité de mieux évaluer les perceptions des consommateurs sur ce thème. Il apparaît ainsi que le concept de respect de la vie privée est multidimensionnel, même si tous les chercheurs ne sont pas d’accord sur le nombre et l’intitulé des dimensions. Il semble cependant qu’il s’en dégage principalement trois : 1) le droit à l’information ; 2) le droit au consentement ; 3) le contrôle sur l’utilisation ultérieure des données (a) et sur les intrusions non désirées (b).

 

Le terme d’informations personnelles fait quant à lui référence à l’ensemble des informations pouvant être associées à un individu. Une définition assez générale a été fournie par Beatty en 1996 comme étant tout ce qui n’est pas public (« data not otherwise available via public sources »). Dans un rapport récent au Congrès américain, le FTC (Federal Trade Commission) a défini plus précisément les informations personnelles comme étant l’ensemble : 1) des informations permettant d’identifier la personne (nom, adresse, ...) ; 2) des informations non identifiantes, agrégées qui, utilisées conjointement aux informations d’identification, permettent de créer des profils de consommateurs (comme les données socio-démographiques et les préférences). Caudill et Murphy (2000) considèrent pour leur part que les informations personnelles incluent à la fois des informations « publiques » (comme le numéro de sécurité sociale, de permis de conduire, …) et des données « privées » (comme les revenus).

 

Si les chercheurs en marketing ont leurs propres définitions des concepts de « protection de la vie privée » et « informations personnelles », d’autres champs de recherche, notamment dans le domaine des sciences sociales et de la psychologie, se sont aussi intéressés à ces questions.

 

         B – Les apports des sciences sociales et de la psychologie

 

La nécessité de trouver un compromis entre les principales parties au conflit d’intérêt à propos de la propriété des données personnelles des consommateurs a amené certains chercheurs en sciences sociales à proposer de raisonner sur la base de la théorie de l’échange et plus spécifiquement sur celle du contrat social. Un contrat social est une forme spécifique d’échange dans lequel les individus s’engagent en contrepartie de bénéfices économiques ou sociaux et qui est initié quand on s’attend à ce que les normes sociales gouvernent le comportement des parties impliquées. Plusieurs chercheurs, dont Culnan (1995) et Dunfee, Smith & Ross (1999) ont ainsi proposé de définir l’échange de données avec le consommateur et le respect de sa vie privée en terme de contrat social. Selon cette perspective, le contrat serait considéré comme nul et non avenu dans 3 cas : 1) si le consommateur n’est pas informé de la collecte d’informations le concernant ; 2) si l’entreprise loue ces informations à une autre s’en avoir obtenu son accord au préalable ; 3) si le consommateur n’a pas la possibilité de refuser l’utilisation (primaire ou interne et secondaire ou transfert) de ses données. Les deux hypothèses sous-jacentes sont liées au fait que la majorité des consommateurs souhaitent avoir plus de contrôle sur leurs données et que le fait de leur en donner réduira leurs préoccupations et les incitera à se montrer plus coopératifs. Ainsi, cette théorie offre une solution capable de réconcilier les points de vue souvent divergents des parties en présence.

 

Les chercheurs en psychologie se sont également intéressés au concept de vie privée. Certains ont ainsi montré que le développement de soi était une étape importante vers le bien-être et le développement de l’intimité avec les autres (Cosby, 1973). Si quelques auteurs considèrent que l’intimité et le respect de la vie privée constituent deux besoins en conflit, d’autres, comme Geurin (1987), suggèrent une interdépendance entre les deux plutôt qu’une véritable opposition. Ainsi, pour ce dernier, la vie privée constituerait une fondation sur laquelle l’intimité pourrait se construire. Enfin, d’autres recherches ont montré qu’il est psychologiquement plus facile pour un individu de se dévoiler quand personne ne regarde ni écoute. Autrement dit, le fait de réduire la prise de conscience de la divulgation permet de rassurer les personnes et les encouragent alors à en dire davantage. Ainsi, la collecte d’informations sur Internet créerait de prime abord une plus forte perception de respect de la vie privée, du fait de l’absence de personnes extérieures.

 

IV – CADRE CONCEPTUEL

 

La réaction de l’individu en matière de préservation de sa vie privée peut être analysée à deux niveaux : un niveau attitudinal (généralement mesuré par l’attitude vis-à-vis du respect de la vie privée ou par le niveau de préoccupation des individus à ce sujet) et un niveau comportemental (évalué par la réponse de la personne en cas de sollicitation et/ou d’utilisation de ses données personnelles).

La majorité des chercheurs ont raisonné au niveau de l’attitude, montrant par exemple que le niveau de préoccupation des consommateurs augmentait quand ils apprenaient qu’on avait collecté leurs données sans avoir été préalablement mis au courant ni avoir donné leur accord. Peu de recherches ont été réalisées jusqu’à présent sur les effets de ces préoccupations sur les comportements. Celle menée par Sheehan & Hoy (1999) constitue l’une des rares exceptions.

De plus, si certains auteurs suggèrent l’existence d’une taxonomie des réponses, dans le prolongement de celles réalisées par Hirshman (1970) et Singh (1988) dans le domaine des réactions à l’insatisfaction, aucune taxonomie spécifique au problème du respect de la vie privée n’a pu être réellement élaborée jusqu’ici.

Notre étude vise pour sa part à concilier ces deux niveaux d’analyse, à travers une approche « processuelle » du phénomène visant à décrire les relations existantes entre les cognitions, les attitudes et les comportements dans le domaine du respect de la vie privée.

 

Une des explications au fait que peu de recherches ont été menées sur les comportements des individus en cas de sollicitation de leurs données personnelles serait liée au fait que ceux-ci sont susceptibles de varier selon la situation rencontrée, autrement dit en fonction de facteurs situationnels. La littérature suggère que ceux-ci concernent le type d’information demandée, le dispositif de collecte et l’état de la relation du consommateur avec l’entreprise sollicitante.

Les recherches américaines distinguent généralement 5 catégories d’informations personnelles qui diffèrent selon le degré auquel elles évoquent la préoccupation du consommateur en matière de respect de la vie privée. Si l’influence de ce facteur a donc été démontrée, aucune étude n’a été pour l’instant capable de différencier l’information sensible de celle qui ne l’est pas. Seule l’idée selon laquelle cette sensibilité serait contextuelle et spécifique à l’individu a été avancée.

Les recherches concernant le dispositif de collecte se sont jusqu’ici attachées à étudier l’effet des notices d’information et du dispositif de réclamation sur le comportement du consommateur en cas de sollicitation de ses données personnelles. Enfin, plusieurs chercheurs ont démontré l’impact de l’entreprise sollicitante sur la décision du consommateur, indiquant notamment que l’expérience passée avec celle-ci (ou ancienneté de la relation) était une des raisons qui le poussait à avoir confiance et donc à accepter plus facilement de répondre. Des études ont également indiqué que les personnes recevant un message non sollicité d’une entreprise avec laquelle ils avaient déjà été en contact ne le considéraient pas comme une réelle invasion de leur vie privée, même s’ils ne l’accueillaient pas forcément favorablement.

 

Le fait que l’individu estime qu’il y a ou non violation de sa vie privée au cours d’une sollicitation de ses données personnelles dépend non seulement des circonstances mais aussi de son propre jugement de la situation, lui-même dépendant de caractéristiques individuelles, autrement dit de sa personnalité, de ses valeurs, de son expérience dans le domaine et de caractéristiques socio-démographiques.

Des chercheurs en psychologie ont montré que les choix de vie privée (par exemple la préférence pour l’anonymat ou l’intimité) étaient généralement associés à certains traits de personnalité (Pedersen, 1979). D’autres auteurs ont étudié la corrélation entre les valeurs et la préoccupation pour la préservation de la vie privée. Stone & al. (1983) ont ainsi montré que plus un individu attribuait de la valeur à cette dernière, moins il percevait avoir de contrôle sur ses données personnelles.

L’effet de l’expérience, notamment en matière d’achat à distance et de marketing direct, a également été étudié par certains chercheurs, qui suggèrent que celle-ci aurait une influence sur la perception de contrôle détenu par le consommateur sur ses données personnelles ainsi que sur son désir de se faire rayer des listes.

Concernant les données socio-démographiques, leur influence sur la préoccupation des individus en matière de protection de leur vie privée, bien que supposée, n’a jamais été réellement démontrée tant les résultats des recherches en la matière offrent des résultats contradictoires.

 

V - METHODOLOGIE

 

         A – Choix de la méthode de collecte des données

 

Sur un sujet aussi délicat que celui du respect de la vie privée, le recours à une étude qualitative par le biais d’entretiens individuels semi-directifs s’est avéré être la méthode la plus appropriée pour obtenir des réponses à nos questions de recherche. Cette technique offre l’avantage de favoriser la validité des données produites dans la mesure où les réponses sont générées spontanément par le répondant et où elles sont donc plus susceptibles de refléter ce qu’il pense. Afin d’accroître la fiabilité de la recherche, nous nous sommes également attachés à mener les entretiens en respectant les règles élémentaires dans ce domaine (reformulation, empathie, …).

Chaque interview a consisté en une conversation libre de 1h15 à 1h30 environ, s’appuyant sur un guide d’entretien comprenant les thèmes à aborder ainsi que les relances à prévoir.

 

         B – Choix et caractéristiques des répondants

 

Deux critères ont guidé la constitution de l’échantillon. Le premier, lié à la qualité d’internaute de l’interviewé, a été satisfait par le filtrage initial des personnes à interroger. Le second, basé sur l’idée de diversité de l’échantillon retenu, a consisté à choisir des individus aux profils très contrastés afin de couvrir une variété d’expérience en matière d’utilisation d’Internet et de collecte d’informations personnelles. Suivant en cela la littérature, nous avons distingué 3 catégories d’internautes, de « novice » à « confirmé » en passant par « aguerri » avec pour objectif d’obtenir un certain équilibre entre ces 3 groupes. L’échantillon retenu comprenait 9 individus, 6 femmes et 3 hommes, âgés de 23 à 55 ans, dont le seul point commun était d’être tous, à des degrés divers d’ancienneté et d’utilisation, des internautes.

 

         C – Méthode d’analyse et d’interprétation des données

 

Pour interpréter les résultats de ces interviews, nous avons procédé à une analyse de contenu qualitative, fondée sur une analyse thématique plutôt que lexicale. L’objectif était avant tout de parvenir à décrire l’état des croyances et des représentations des internautes français face à la question du respect de leur vie privée. Il s’agissait également de comparer les discours des répondants entre eux afin de souligner leurs différences et leurs ressemblances et ainsi mettre en évidence l’effet possible des variables individuelles. Nous souhaitions également pouvoir expliquer l’origine des différences de comportements. Enfin, l’étude visait aussi à mesurer les écarts entre les réactions possibles des internautes français et américains en cas de sollicitation de leurs données personnelles.

Ce travail d’analyse et d’interprétation nous a conduit à formaliser les relations entre les facteurs explicatifs (variables individuelles et situationnelles) et les variables dépendantes (attitudes et comportements). Ceci nous a permis de formuler certaines conclusions permettant de répondre à nos questions de recherche mais aussi d’élaborer un modèle conceptuel permettant de visualiser les liens établis entre les différentes catégories de variables.

 

VI – CONCLUSION ET COMMENTAIRES

 

         A – Principaux résultats

 

Concernant les réponses aux questions de recherche, nos conclusions sont les suivantes :

 

-      les internautes français sont assez peu conscients de l’ensemble des pratiques utilisées par les entreprises pour collecter et utiliser leurs données personnelles sur Internet et ont peu connaissance des droits que leur confère la réglementation à cet égard ;

 

o    ils semblent être beaucoup moins informés que ne le sont les internautes américains et surtout ils ont peu connaissance des pratiques de collecte « discrète » par le biais de cookies ;

 

o    les perceptions et attitudes des internautes français à ce sujet paraissent très hétérogènes : de hostiles pour certains, à conciliants pour d’autres et ce d’autant plus que certaines conditions sont respectées (faible sensibilité de l’information demandée, confiance dans l’entreprise, information sur la finalité et l’utilisation ultérieure, pertinence de la collecte) ;

 

o    le niveau de préoccupation des individus s’élève quand il s’agit des conséquences de la collecte et notamment des relances commerciales en grand nombre (spamming) et/ ou du transfert des données à des tiers ;

 

o    le fait que ces pratiques se développent de plus en plus pourrait avoir une incidence sur l’attitude et le comportement des internautes à leur égard, de nombreux répondants trouvant que la collecte sur Internet se fait de plus en plus envahissante, ce qui amène certains d’entre eux à se montrer de moins en moins coopératifs ;

 

o    les répondants ont peu évoqué le rôle des organismes chargés de faire respecter la réglementation en vigueur à ce sujet et n’ont pas exprimé non plus l’envie de porter plainte contre les entreprises. Ceci peut avoir plusieurs significations : soit ils s’estiment sécurisés et n’éprouvent pas le besoin d’en parler ni de se plaindre (signe d’une atteinte à leurs droits faible ou au moins supportable), soit ils sont insuffisamment informés sur leurs droits et sur les moyens de s’en prévaloir.

 

-         il apparaît que les deux catégories de variables évoquées (individuelles et situationnelles) ont bien une influence sur l’attitude et le comportement des internautes face aux sollicitations de leurs données personnelles ;

 

o    les premières (liées à la personnalité, aux valeurs, à l’expérience et aux caractéristiques socio-démographiques de l’individu) interviennent surtout avant la collecte (première phase du processus) et ont une influence directe sur l’attitude générale de l’individu à l’égard de la collecte de données personnelles ;

 

o    les secondes (liées à la sensibilité des données, au dispositif de collecte, à la relation entretenue avec l’entreprise sollicitante et aux circonstances) agissent essentiellement au cours de la phase de collecte et ont une influence majeure sur la réponse de l’individu à la sollicitation.

 

D’autres résultats importants sont également à souligner :

 

-         il semble exister des « traits » communs entre les personnes a priori peu préoccupées (ou au contraire très préoccupées) par les questions de protection de la vie privée. Ceux-ci dépendraient essentiellement des variables individuelles et seraient notamment liés à la personnalité, à l’expérience et aux données socio-démographiques ;

 

-         pour que l’internaute développe une attitude positive à l’égard de la collecte et/ou l’utilisation de données personnelles, plusieurs conditions doivent être réunies : 1) être informé de la collecte et de ses suites (relances et transferts de fichiers) ; 2) donner au préalable son consentement et pouvoir le cas échéant s’opposer à ses suites ; 3) avoir confiance dans l’entreprise collectrice et se sentir dans un environnement sécurisé ;

 

-         plusieurs stratégies de réponses peuvent être envisagées par les internautes en cas de sollicitation de leurs données personnelles. Notre étude nous a permis de distinguer 5 stratégies de réponses possibles à l’égard de l’entreprise sollicitante (collaboration, évitement, détournement d’identité, refus ou renoncement et affrontement). Si la littérature distingue également les réactions vis-à-vis de l’entourage (bouche-à-oreille) ou de tiers plus ou moins impliqués (comme les organismes de défense des consommateurs), aucune de ces solutions ne semble avoir été employée par les répondants. De plus, il apparaît que parmi les 5 stratégies évoquées, 3 d’entre elles sont plus particulièrement utilisées à savoir l’évitement (rester vague et ne pas répondre aux questions facultatives), le refus (ne pas répondre) et l’affrontement (mentir, donner une fausse identité) ;

 

-         les répondants perçoivent des différences selon le type de renseignement demandé, montrant ainsi l’importance de la sensibilité de l’information. Celle-ci s’avère extrêmement subjective dans la mesure où une même donnée (ex : l’adresse personnelle) peut être considérée comme anodine pour certains et privée pour d’autres. Ce constat nous a amené à chercher à évaluer les différents niveaux de sensibilité que pouvait prendre une information selon les individus. Celle-ci s’avère d’ailleurs être un critère primordial, capable d’influencer le comportement de l’individu en le décourageant par exemple de répondre s’il estime les données demandées trop personnelles ;

 

-         le fait d’être sur Internet modifie l’attitude et le comportement des consommateurs à l’égard de la collecte et de l’utilisation de leurs données personnelles. Cependant, les perceptions des répondants à ce sujet s’avèrent très hétérogènes et parfois contradictoires. En effet, si beaucoup soulignent la sensation de contrôle que leur offre ce média (estimant notamment avoir plus le choix et la liberté de répondre), d’autres soulignent au contraire que la collecte de données personnelles y est plus systématique et plus intrusive (plus de questions personnelles notamment). Cette différence de perception semble principalement liées aux variables socio-démographiques et aux effets d’expérience.

 

         B – Comparaison avec les résultats des recherches précédentes sur le sujet

 

La comparaison de nos résultats avec ceux issus des recherches précédentes laisse apparaître certains points communs et des différences que nous allons indiquer rapidement ci-dessous.

 

 

Les points communs concernent principalement 3 questions :

 

-         la sensibilité de l’information demandée (reconnue par la littérature et confirmée ici) ;

 

-         la différence de préoccupation de l’individu selon la pratique incriminée en matière de gestion de l’information (comme dans la littérature, notre étude montre que la préoccupation la plus élevée concerne l’utilisation secondaire des données, plus que la collecte elle-même) ;

 

-         l’importance du contrôle comme critère de jugement du respect de la vie privée.

 

Parmi les principales différences, on peut signaler :

 

-         le fait que les internautes français se disent moins préoccupés que leurs homologues américains par le respect de leur vie privée en cas de sollicitation et d’utilisation de leurs données personnelles. Ce constat pourrait cependant s’avérer inexact dans la mesure où, bien que ne l’exprimant pas ouvertement, leur attitude et leur comportement à cet égard semble prouver le contraire ;

 

-         le fait que les internautes français paraissent également moins informés des pratiques en vigueur d’une part et de leurs droits en la matière d’autre part. Tout semble se passer comme s’ils avaient « naturellement » confiance dans les pouvoirs publics pour assurer leur protection dans ce domaine ;

 

-         le fait que les stratégies de réponse employées par les Français diffèrent sensiblement de celles des américains (ces derniers étant plus enclins à se plaindre auprès de l’entreprise ou des organismes de défense et à en parler à leur entourage). Les types de réponses le plus souvent employés par les Français s’apparentent plus à un comportement de protection, signe d’un niveau de préoccupation certain, bien que non exprimé ouvertement.

 

L’ensemble de ces différences est le signe de l’importance du phénomène culturel sur un sujet aussi délicat que celui du respect de la vie privée, ce que la littérature avait déjà suggéré et même démontré.

 

C – MODELE CONCEPTUEL

 

L’ensemble de notre analyse a permis d’aboutir à la réalisation d’un modèle qui vise à souligner le caractère processuel de la réponse de l’individu face à une sollicitation de ses données personnelles. Le consommateur (internaute) passerait ainsi par plusieurs phases (dont 3 principales) avant de prendre sa décision finale. Il faut cependant souligner que ce modèle constitue un « schéma type » mais qu’il ne saurait être utilisé par tout le monde quelque soient les circonstances, celles-ci pouvant amener à réduire certaines phases ou à en allonger d’autres.

La première phase se situe avant la collecte et fait intervenir l’ensemble des caractéristiques individuelles évoquées précédemment. Interviennent aussi les facteurs environnementaux (culture, technologie, réglementation, …) qui influencent le niveau de connaissance des individus à propos des pratiques des entreprises en matière de gestion des informations d’une part et des droits des consommateurs en la matière d’autre part. Cela aboutit à former une « préférence de l’individu en matière de contrôle », manifestation de son attitude générale vis-à-vis de la collecte de données.

La seconde phase, étape essentielle du processus se situe au cours de la collecte, et va de la sollicitation jusqu’à la prise de décision par l’individu. Interviennent ici les facteurs situationnels qui combinés à la « préférence de l’individu en terme de contrôle » (issue de la phase précédente), aboutissent à une « pré-disposition à répondre », reflet de la première impression de l’individu suite à la sollicitation. Celle-ci pourrait dès lors se voir modérée par plusieurs facteurs liés aux caractéristiques de l’individu et de la situation à ce moment là : l’implication, la motivation et la confiance dans l’entreprise sollicitante. En cas d’implication et de motivation suffisante, l’individu poursuivrait sa réflexion en analysant les caractéristiques perçues de la demande (bénéfices, inconvénients et risques notamment). Avant de prendre sa décision, l’individu procéderait à une évaluation finale, estimation du gain net à divulguer ses données et de la pertinence de la demande. Cette évaluation l’amène à choisir parmi les stratégies de réponses envisagées celle qui convient le mieux à la situation.

La dernière phase correspond aux suites et conséquences de la collecte telles qu’elles sont vécues par l’individu. En effet, cette expérience pourra l’amener : 1) à une modification éventuelle de son attitude vis-à-vis de pratiques de collecte en général ainsi qu’à l’égard du marketing direct (si la collecte a eu pour conséquence des relances commerciales par la suite) ; 2) à une modification éventuelle de son comportement de réponse lors de la prochaine sollicitation et de son comportement de protection ; 3) à « colporter » un bouche-à-oreille (positif ou négatif selon son évaluation et sa décision finale lors de la collecte).

 

VII – CONTRIBUTIONS DE LA RECHERCHE

 

         A – Apports théoriques de la recherche

 

Les résultats de cette étude doivent permettre d’étendre les efforts entrepris par les chercheurs (notamment américains) pour identifier les types d’informations personnelles les plus sensibles mais aussi pour repérer les situations et les facteurs qui accroissent les préoccupations des internautes concernant la protection de leur vie privée. Elle a également permis de souligner les différentes catégories de réponses possibles à une sollicitation de données personnelles à des fins commerciales.

Cette étude constitue la première recherche académique sur ce sujet en France, ce qui permet non seulement de rappeler l’importance du phénomène culturel dans ce contexte, mais aussi de souligner les différences de réactions entre le public français et américain.

Enfin, cette recherche est l’une des premières à aborder la question du respect de la vie privée et de la réponse à une sollicitation de données personnelles dans une optique « processuelle », soulignant ainsi les liens entre les cognitions, les attitudes et les comportements (cf. modèle).

 

         B – Implications et recommandations aux managers

 

Les conclusions de notre étude visent à prouver aux marketers souhaitant développer une activité sur Internet qu’il est nécessaire de connaître et de prendre en compte les préoccupations des consommateurs concernant la protection de leur vie privée et la sécurité des transactions, afin de bâtir avec eux une relation de confiance qui les incitera à se montrer fidèles. Il est en effet probable qu’à l’avenir les internautes seront particulièrement attentifs à tous les signes tangibles capables de les mettre en confiance au moment de s’identifier (et ainsi les dissuader de mentir) et de les rassurer quant à l’utilisation « éthique » de leurs données dans le futur.

 

Il se dégage ainsi 4 points sur lesquels les managers doivent donc se montrer attentifs :

 

-      la notion de confiance : la capacité de l’entreprise à s’assurer la confiance des internautes pour les inciter à s’identifier correctement s’avère être un facteur clé de succès à l’avenir. Cela passe par le développement de chartes et le recours à des pratiques saines et éthiques en matière de respect de la vie privée ;

 

-      La notion de contrôle : cette dimension s’avère essentielle dans la perception de l’individu face à la collecte et à l’utilisation probable de ses données personnelles. La capacité de l’entreprise à collecter et utiliser les données personnelles des consommateurs tout en assurant à ces derniers une perception de contrôle s’avère elle aussi primordiale ;

 

-      La notion de relation : il est important pour le bon fonctionnement et la rentabilité des entreprises que celles-ci obtiennent des informations nombreuses, vraies et complètes sur leurs clients. Ceci n’est possible que si elles parviennent à bâtir avec ces derniers des relations saines et solides avant de leur demander des informations ;

 

-      La segmentation : il apparaît de plus en plus nécessaire de réaliser, au sein de la base de données clients, une nouvelle segmentation basée sur les préoccupations des clients en matière de préoccupation pour le respect de leur vie privée.

 

         C – Limites prévisibles

 

4 catégories de limites ont été plus particulièrement identifiées.

La première tient aux objectifs fixés, dans la mesure où nous nous sommes « contentés » d’une approche descriptive du phénomène et où nous n’avons pas testé ni démontré l’influence exacte des variables identifiées.

La deuxième tient à la méthodologie employée et aux défauts inhérents à l’analyse qualitative (manque d’objectivité, sincérité et validité des résultats). Nous avons cependant pris toutes les mesures possibles au long de cette recherche pour « objectiver » les résultats et en accroître la validité.

La troisième tient à la petite taille (9 répondants) et à la faible « représentativité » de l’échantillon sélectionné (même si elle n’est pas recherchée en tant que telle en analyse qualitative), cette dernière étant liée au manque d’homogénéité dans la répartition des trois catégories d’internautes au sein de notre échantillon (sur-représentation des « confirmés » par exemple).

La dernière limite tient à la faible généralisation des résultats, d’une part par la nature même de l’étude (qualitative) et d’autre part parce qu’elle se situait dans le contexte particulier d’Internet et des consommateurs français.

 

         D – Voies de recherche futures

 

De nombreuses pistes de recherche peuvent être envisagées. Celles-ci concernent tout d’abord la réplication de notre étude et son extension à un champ plus vaste (autres médias) ou à une méthodologie différente (quantitative) visant à tester notre modèle et à identifier au sein des facteurs identifiés ceux qui ont un rôle direct et ceux qui jouent le rôle de médiateurs et/ou de modérateurs.

D’autres pistes pourraient s’intéresser à l’importance de l’orientation relationnelle dans la préoccupation du consommateur vis-à-vis du respect de sa privée et dans sa décision de divulguer ses données personnelles.

Il pourrait aussi être intéressant de répliquer certaines recherches menées aux Etats Unis auprès des consommateurs français de manière à mesurer les différences et à réaliser une comparaison internationale.

Enfin, de nouveaux sujets sont émergents dans le cadre de l’analyse des liens entre vie privée et technologies de l’information, notamment tout ce qui concerne la protection des enfants et les liens avec l’administration.