Les NTICs et les élections présidentielles américaines de 2004?

Communication de David PUCHEU, doctorant en communication aux Universités de Bordeaux 3 et du Québec à Montréal (UQÀM) avec une post-face de René-Jean RAVAULT, Ph.D. professeur associé au département des communications de l’UQÀM (Québec, Canada)

Présentée dans les ateliers ayant pour thématique : « Les nouvelles formes d’exercice citoyen de la démocratie. » au colloque international du CREIS (Paris, Juin 2004)

 

 

Deanforamerica.com

 

Bénéficiant d’un des taux de fréquentation les plus élevés au monde (1), Internet fait partie, aux États-Unis, de la panoplie médiatique sur laquelle s’appuient invariablement les stratégies électorales pour la course à la présidence. L’importance cruciale de la visibilité médiatique pour les candidats n’est plus à démontrer.  Internet constituait pourtant, jusqu’à aujourd’hui, un média marginal en miroir de la presse écrite, la télévision et la radio. Si, depuis le début des années 90, les candidats à la présidence ne peuvent plus ne pas exhiber leur image sur le Net, c’est avant tout un impératif communicationnel qui motive une telle entreprise (pour paraphraser et compléter Watzlawick, on ne peut pas ne pas communiquer sur le Net aujourd’hui !).

 

Toutefois, la campagne online de Howard Dean, dans une large mesure, remet en cause cette affirmation. Tout a commencé sur le site Moveon.org (2), initialement créé en 1998 pour mobiliser les électeurs démocrates au moment de la procédure d’impeachment de Bill Clinton et devenu depuis, le principal site des Démocrates contre les Républicains.  Ce site a, en quelque sorte, révélé à Howard Dean et à ses conseillers en communication le potentiel stratégique que pouvait détenir Internet dans la course aux présidentielles. Moveon.org proposa en effet aux électeurs démocrates de procéder à une pré-élection virtuelle. Ainsi, en juin 2002, sur près de 317 000 votes enregistrés, Howard Dean récoltât 44 % des suffrages (contre 24% pour Kucinich et 15,7 % pour John Kerry) (3).

 

A l’issue de ce vote virtuel (dans les deux sens du mot), 49 000 votants ont promis des dons d’un montant de 1,75 millions de dollar. Devant un tel engouement, ce qui est sûr, c’est qu’Internet apparaît manifestement, dans un pays « hyperconnecté », comme un média de choix pour sensibiliser et mobiliser (hors contraintes géographiques et temporelles limitant considérablement l’organisation militante des électeurs) un public aussi hétérogène que celui des Etats-Unis d’Amérique.  En outre, ce nouvel auditoire fédère celles et ceux qui, délaissant les institutions médiatrices traditionnelles, préfèrent se retrouver dans des « communautés discursives numériques » de plus en plus nombreuses, comme en témoigne l’émergence des weblogs.

 

La campagne en ligne de Howard Dean s’appuie sur un certain nombre d’outils, novateurs, pour la plupart.  Ainsi, son Site officiel, des blogs animé par ses collaborateurs, des sites et blogs communautaires (sur la plate-forme Meetup), la liste de diffusion par SMS et la WebTV, ont favorisé l’organisation et la mobilisation de militants et supporteurs financiers. Par-dessus tout, cette stratégie a contribué à ériger le gouverneur du petit État du Vermont, parti dans la course avec à peine 500 supporteurs et pas plus de 100 000 $, en candidat potentiel et crédible pour l’élection présidentielle. Comme nous le verrons, les raisons qui ont conduit Howard Dean à l’échec ne sont pas imputables à cette stratégie numérique même si certains analystes n’hésitent pas à comparer l’échec de Dean à l’éclatement de « la bulle informatique » (4). On peut d’ores et déjà souligner qu’en matière de mobilisation des capitaux, Howard Dean détient le record jamais obtenu par un Démocrate aux primaires avec près de 41 millions de dollars !

 

« Blogforamerica »

 

Les sites officiels des différents candidats à la présidence favorisent rarement l’interaction et restent, dans une large mesure, modélisés sur un principe de communication institutionnelle en fournissant des ressources de bases dans une logique d’offre de l’information. Ils fonctionnent, dans la majorité des cas, comme une vitrine de l’activité politique et des orientations idéologiques des différents candidats. De tels sites ne sont pas fondamentalement évolutifs puisque leur cohérence tient essentiellement à la fixité de leur ergonomie et au ton institutionnel qui les caractérisent : rubriques figées, standardisation et centralisation des mises à jour, limitation des liens hypertextes qui bouleversent les modalités de navigation…

 

Le blog ou « journal de bord numérique » semble constituer un moyen de communication beaucoup mieux adapté aux réactivités politiques et à la multiplication des sujets abordés dans la campagne ainsi qu’à l’action militante et citoyenne. Toutes les contributions d’un blog (publication d’article, création de rubrique) peuvent s’effectuer, en temps réel, en n’importe quel endroit de la planète et sur n’importe quelle machine. Cette décentralisation rédactionnelle distribue les pouvoirs et les droits administratifs du site aux membres du blog. En ne demandant que très peu de formation pour l’utilisation des NTICs, elle leur accorde une grande autonomie. De plus, elle favorise considérablement la multiplication des publications et l’enrichissement thématique des rubriques. En outre à chaque article se trouve attaché un forum favorisant les feedbacks.  Ces mêmes articles sont, ensuite, archivés dans une base de données exhaustive ouverte à toute quête de documents. 

 

Véritable phénomène informationnel aux Etats-Unis, les blogs ne cessent d’envahir le panorama technique de l’Internet. L’un des premiers développeurs de blog, David Winer n’hésite pas à affirmer que, dans l’avenir, les médias « auront changé si profondément que les personnes informées chercheront auprès de blogs d’amateurs, en qui ils ont confiance, l’information dont ils ont besoin » (5). En marge des nombreux blogs « privés », dont la principale fonction est de protéger l’image des institutions déjà établies, se développent ainsi une multitude de réseaux communautaires qui s’adaptent parfaitement aux structures de l’espace public américain perpétuellement remodelé par l’activité des groupes de pression et des « laboratoires d’idées ».

 

Le site officiel (6) de Howard Dean ne constitue donc pas le cœur de sa « stratégie électronique ».  Son site offre plusieurs fonctionnalités intéressantes mais, la WebTV (7) par exemple, ne constitue que les manifestations d’une image de marque malléable au gré des événements. Le blogforamerica (8) (« journal de campagne ») et le Dean Wireless (liste de diffusion par SMS) semblent bien plus s’intégrer dans la stratégie effective de sa campagne. Plus fondamental encore est l’apport des réseaux militants. Situés en périphérie de ce noyau dur de sites officiels qui fournissent massivement et quotidiennement des informations de références et regroupés dans un meta réseau communautaire, ils permettent la coordination et l’organisation effective (Meetup) de la campagne.

 

 

 

Du global au local, du virtuel au réel : des potentialités à l’efficacité du Web

 

Les potentialités offertes par le réseau (Web) ne suffisent pas à générer, à elles seules, de nouveaux comportements informationnels ou militants. La question de l’engagement politique (d’ailleurs désincarné sur le Web) et des modalités de son exercice gardent toute sa pertinence. Pour tenter d’y répondre, le conseiller en communication de Dean, Joe Trippi, a élaboré trois stratégies distinctes. Dans un premier temps, elles visent à multiplier les initiatives militantes sur le Web en marge des circuits officiels. Ensuite, elles visent à en assurer effectivement l’organisation globale sur une plate-forme communautaire, jouant le rôle de médiateur et de coordinateur. Enfin, cet intermédiaire qui centralise les différentes communautés militantes (syndicalisation des blogs dédiés à l’investiture du nouveau candidat) organise des rencontres, bien physiques cette fois, entre les différents acteurs agissant sur la toile pour former des espaces publics de discussion (9) aux quatre coins de l’Amérique et, dans une moindre mesure, du monde.  Ces regroupements d’acteurs en chair et en os répondent à deux soucis majeurs : la fragmentation de l’espace public contemporain en de multiples micro-espaces publics (10) et la configuration géographique du territoire nord américain qui complique passablement les modalités de concertation démocratique.

 

Meetup n’était pas fondamentalement un outil destiné à la politique. Comme le souligne l’un des membres fondateurs : « l’objectif fondamental de Meetup est de revitaliser les communautés locales face à l’envahissement technologique qui laisse peu de place à l’interaction directe ». Inspiré du livre « bowling alone » du sociologue Robert Putman, ce système de rencontres par l’entremise du Web, cherche en fait à aider les membres d’une communauté d’intérêt partagé dont la rencontre physique se heurte trop souvent aux contingences du monde moderne. Le travail, la télévision, l’ordinateur fonctionnant comme des agents d’individualisation, une grande partie des américains ne trouvent plus, en dehors de l’exercice d’une fonction programmée, de temps pour organiser des activités civiques ou déconnectées de la sphère privée. Élue innovation technologique de l’année par l’Association américaine des consultants en affaire politique, Meetup regroupe aujourd’hui pas moins de 4000 communautés discursives avec 1,2 millions de membres se réunissant ponctuellement dans 612 villes aux Etats-Unis et dans le monde (11).

 

Un système de cette envergure repose en premier lieu sur la capacité des usagers à s’approprier les technologies de publication pour créer des espaces symboliques de dialogue qui dépassent la pure médiation technique. Pour s’assurer de l’usage extensif des blogs et d’outils proposés par la communauté de développeurs « libres » de l’Internet (12), des militants regroupés sous le label : « hack for Dean » ont développé, sous licence GPL (General Public Licence), un système de publication pour le Web soutenant la campagne de Howard Dean : Deanspace (13). On peut d’ailleurs supputer que l’activisme de Joe Trippi, fervent défenseur de l’Internet libre et fortement impliqué dans le monde technologique de la « Silicon Valley », explique en partie ce type d’initiative.

 

Politique et technologie : une convergence idéologique ?

 

Joe Trippi, principal stratège de la campagne de Howard Dean, n’hésite pas à parler, dans une interview accordée à Larry Lessig, « blogger » très populaire aux Etats-Unis, d’une « campagne électronique en open source ». En fait, à y regarder de plus près, c’est toute l’idéologie californienne (14) qui a mobilisé, autour d’un noyau dur de concept et de slogan au élan prophétique, une masse inattendue d’internautes.

Joe Trippi incarne certainement le mieux cette dimension idéologique : après avoir grandi à Los Angeles dans une famille de classe moyenne, il poursuit ses études à l’université d’Etat de San José. Tout en empruntant les chemins de la politique, il ne cesse, tout au long de sa carrière, d’exercer une activité d’auditeur auprès d’innombrables sociétés implantées dans la Silicon Valley. Se présentant comme « technophile », Joe Trippi reste convaincu qu’Internet constitue un phénomène révolutionnaire dans l’exercice de la démocratie.

 

Limogé par Howard Dean en janvier après l’échec de l’Iowa, fin janvier 2004, Trippi, dans une récente conférence sur la « démocratie digitale » à San Diego (15), réfute catégoriquement les responsabilités qui lui sont attribuées pour cette défaite : « la campagne de Howard Dean n’est pas un « crash.com » mais un miracle en train d’être dénigré ! ». Dans cette même conférence il affirme que cette nouvelle expérience de campagne a engagé le monde politique dans une « révolution irréversible » comparable en tous points au bouleversement qu’entama la télévision au tournant des années 60 sur les modalités de participation démocratique.

 

Ce point de vue explique également le soutien qu’apporta Albert Gore, l’ancien Vice Président de Bill Clinton, à la campagne de Dean : lui qui fût l’un des promoteurs les plus enthousiastes des vertus démocratiques du réseau des réseaux ne pouvait que saluer une telle initiative (16). 

 

Tous les artisans de cette campagne numérique ont cette même fascination pour les NTICs et émergent, pour la plupart, des universités californiennes comme Berkeley, San Diego ou San José (berceau de l’Internet libertaire). Par une sorte de convergence opérée entre le monde de la politique et celui des technologies, la stratégie de Dean s’assimile substantiellement aux enjeux antinomiques qui opposent depuis sa création les partisans de l’Internet Libre et ceux du marché mondial de l’information. C’est d’ailleurs là, un des rouages clés de sa campagne : face au pouvoir centralisateur et oligarchique de l’establishment Washingtonien, Howard Dean est le candidat du peuple, de la société civile. Il a su générer l’enthousiasme de la base pour revitaliser les « grassroot campaigns » trop souvent enlisées dans les manifestations de relations publiques et excluant les citoyens d’une participation politique effective.

 

La campagne numérique de Dean incarne finalement une vision idéologique – fortement teintée de logique cybernétique  - perceptible à travers différentes orientations stratégiques :

-   la transparence, en premier lieu, que résume assez bien l’idée d’une « campagne en open source ». Le blogforamerica, à la différence des sites officiels, donne une image humaine du candidat et offre une visibilité sans commune mesure à ses opinions diverses et variées ou encore à sa vie privée dans la quotidienneté itérative. En outre, les blogs non officiel situés en périphérie du blogforamerica dépassent largement le pur cadre institutionnel et offre un lieu d’expression dégagé de tout contrainte normative

-   la rétroaction ou feedback offert par les blogs communautaires et les listes de diffusion (par SMS ou courrier électronique) permet constamment au candidat de réajuster son positionnement et justifier ses prises de positions. Après une intervention dans les médias traditionnels par exemple ou lors d’un meeting. Dean s’écrit ainsi dans la revue Wired : « si je donne un speech et que les « bloggers » n’aiment pas ça, la fois suivante : je change de speech ! »

-   enfin, les vertus décentralisatrices du réseau et le caractère autorégulateur des systèmes d’informations : ce ne sont pas moins de 600 000 internautes qui se sont investis sur la toile pour soutenir, de façon autonome, le candidat aux primaires démocrates. 

 

 

Dépasser l’Internet : un processus irréversible ?

 

Si les potentialités du réseau ont pu rendre effective une telle stratégie, l’évaluation des résultats reste largement du domaine spéculatif. Comme l’ont souligné d’innombrables chercheurs en communication, toutes ces vertus que l’on pourrait attribuer à l’Internet se heurtent trop souvent au caractère fondamentalement conflictuel et imprévisible du comportement des êtres humains dans les sociétés. La rapide ascension de Howard Dean dans les « Primaires » de la candidature Démocrate à la présidence doit sans doute beaucoup à l’Internet, mais il semble que sa chute, tout aussi brutale, n’y soit pas tout à fait étrangère. La transparence et le caractère autorégulateur du « réseautage militant » ont souvent joué contre ce candidat en en donnant l’image d’un homme simple et trop franc.  Ses multiples « gaffes » ont trouvé un écho retentissant sur les blogs communautaires. La distance qu’a pris ce candidat avec les médias traditionnels de (la télévision en premier lieu) a eu pour effet de négliger la majeure partie de l’électorat américain. Sans compter l’acharnement dont ont fait preuve les médias de masse suite au cri dramaturgique de Dean en Iowa (après sa défaite) qu’on pouvait entendre en boucle sur toutes les chaînes.

 

Enfin, le nouvel électorat de base que Howard Dean a su enthousiasmer par ses premiers succès n’a pas rejoint les citoyens traditionnellement actifs dans la sphère politique. La lutte frontale qu’a voulu mener Dean contre l’establishment politique aussi bien démocrate que républicain l’a dramatiquement éloigné des circuits décisionnels.

 

Le remaniement de l’état-major de Dean au lendemain de la conquête des trois premiers États par son principal adversaire, John Kerry, découlait certainement de ce constat. Fin janvier 2004, Howard Dean limoge Trippi pour le remplacer par Roy Nell, professeur en science politique de l'université Vanderbilt. Ancien conseiller de Gore, Nell est surtout réputé comme lobbyiste pour les industries des télécommunications. Si Trippi, le premier conseiller de Dean incarnait parfaitement le technophile convaincu des bienfaits inhérents aux technologies pour promouvoir une "démocratie électronique" révolutionnaire grâce à la configuration décentralisée du réseau, son successeur est un fervent défenseur de l'idéologie Washingtonniene, centralisatrice et méprisante des masses. Si la stratégie de Trippi s’inscrivait profondément dans la mouvance du grassroots et de « l’open source version politique », la nomination de Neel semble venir à point pour élargir cette base qui n'était plus suffisante. Mais cette incohérence a manifestement sauté aux yeux de nombreux électeurs qui se sont sentis trahis par un tel revirement idéologique.

 

Internet : une nouvelle institution médiatrice de l’espace public ?

 

L’objectif de Dean dépasse la mobilisation des militants déjà actifs au sein de l’espace public. Sa stratégie numérique a éveillé des vocations militantes et en a favorisé le développement. En outre, l’engouement dont témoigne sa campagne a rallié à sa cause des communautés de plus en plus fascinées par « le culte de l’Internet » (17) (notamment les jeunes qui représentaient des électeurs passifs dans les processus traditionnels de mobilisation citoyenne et militante) …

 

Si on peut reprocher à Dean d’inscrire son recours aux NTICs dans une perspective électorale pragmatique et personnellement intéressée (contrairement aux logiques d’intérêt général qui président à l’établissement de l’espace public dans la perspective d’Habermas), cette première « campagne politique numérique » laisse entrevoir l’émergence d’usages nouveaux, encore latents dans les sociétés européennes (18). Ceux-ci permettent de canaliser l’éparpillement informationnel des communautés numériques et d’éviter leur fragmentation en d’innombrables entités abstraites réduisant considérablement leur portée dans l’espace public.

 

Toutefois, la démarche entreprise par Dean ne répond pas qu’à une visée instrumentale, elle procède également d’une prise de conscience que l’exercice de la démocratie dépend non seulement des outils de médiation technique et de leur accessibilité mais aussi, et surtout, des modalités d’usages de ces mêmes technologies dans un « espace public médiatique » (19) structuré par les médias de masses ; structuration à laquelle les NTICs semblent offrir une alternative aujourd’hui. Malgré cette affirmation, la défaite de Dean n’accrédite pas la thèse d’un nouvel âge athénien de la démocratie. La technique peut aider à informer, former ; à mieux organiser et coordonner les actions militantes mais elle ne remplacera jamais ce qu’est le politique : non pas une simple question de gouvernabilité cybernétique mais une problématique éminemment humaine et collective, pour le meilleur et pour le pire. On peut d’ailleurs, dans une large mesure, attribuer l’échec de Dean à son populisme hyperbolique que les technologies elles-mêmes ne purent dissimuler…

 

Postface de René-Jean Ravault,

 

Comme David Pucheu a fait l’essentiel de ce travail tant en ce qui a trait à la recherche qu’à sa rédaction, il me semblerait illégitime de laisser apparaître mon nom comme co-auteur.  Si nous avons eu ensemble l’idée de cette communication et en avons souvent discuté, le mérite lui en revient presque exclusivement. Je pense donc que mon rôle doit se limiter à celui de « répondant – lanceur de débats » dans une postface plutôt que de prétendre être le co-auteur de ce texte.

 

Lorsque nous avons fait part de notre projet au CREIS, Howard Dean, comme en témoigne la couverture de The Economist du 3 Janvier 2004, était considéré comme le futur adversaire Démocrate du président G.W. Bush pour les présidentielles de Novembre 2004.  Certes, aucun caucus et aucune élection n’avaient encore eu lieu mais les sondages, les médias et quelques Démocrates en vue comme Al Gore reniant de ce fait son colistier aux présidentielles de 2000, Joe Lieberman, appuyèrent Howard Dean.  Nous croyions que les NTICs que ce candidat avait si astucieusement et si amplement exploité dans les premières phases de sa campagne avaient fait miracle!  J’en étais même arrivé, pendant quelques mois, à mettre en question mes croyances fondamentales sur la secondarité du rôle des médias et surtout des NTICs dans le fonctionnement du processus communicationnel.  En fait, j’étais déchiré entre mes convictions conceptuelles privilégiant le rôle de l’être humain et de son histoire dans le processus communicationnel et ma posture idéologique très critique à l’égard de George W. Bush et de son administration néo-conservatrice va-t-en guerre.  Si, à la suite, des critiques soutenues de ses rivaux Démocrates les plus proéminents tels que Lieberman, celles des médias traditionnels (en particulier les chaînes de nouvelles continues telles que Fox et CNN) et de la multiplication de ses déboires, Dean est devenu de moins en moins critique envers la guerre préventive de Bush II en Irak, il faut souligner qu’une grande partie de sa popularité venait au départ, du fait qu’il avait voté contre cette guerre et qu’il laissait croire qu’il était alors favorable à un retrait des troupes américaines de ce pays.  En juin 2003, les sondages des 317.000 internautes lui donnaient 44% des voies et Kucinich qui, lui, restera fermement opposé à la guerre, le suivait avec 24%. 

 

Mais, en fait si 66% des internautes étaient opposés à cette guerre, ce n’était pas le cas de la majorité des Américains, peut-être même, des Démocrates et certainement de l’establishment politico-économique.  Comme le soutiennent beaucoup de médias en dehors des États-Unis et plus particulièrement dans l’univers arabe et musulman, cette guerre a pour objectif principal de permettre aux Américains de mieux contrôler les cours mondiaux du brut et, par la même occasion, d’affaiblir, pour ne pas dire éradiquer, les gouvernements des pays du Moyen Orient qui supportent le terrorisme contre Israël.

 

Dean se heurtait donc de plein fouet à deux forces immenses et intouchables : le grand capital et surtout le consortium des grandes entreprises énergétiques américaines protégé par le secret de l’exécutif présidentiel que Dick Cheney défend mordicus et l’ambiguë coalition Judéo-Évangéliste, pro-sioniste protégée par le flou des lois contre l’incitation à la haine raciale.

 

Très vite, les porte-paroles politiques et médiatiques de ces deux tendances s’efforcèrent de faire passer Dean pour un « enragé ».   Comme Dean n’a manifestement pas lu MacLuhan et qu’il n’est pas parvenu à maîtriser l’esthétique « cool » télégénique, ses excès d’harangueur des foules d’internautes ont pu aisément être présentés par les « anchormen » des médias du pouvoir tels que Wolf Pflitzer de CNN comme des accès de colère alors que sa gestuelle et ses cris ressemblaient plutôt aux bruyants encouragements d’un entraîneur d’une équipe de foot.

 

En bref, hélas, il semble que les vieux constats des psycho-sociologues de l’école de Columbia tiennent toujours quels que soient les médias et les NTICs utilisés.  Les gens perçoivent les propos et les images qu’on leur présente beaucoup plus en fonction de leurs propres paradigmes, conjectures, préjugés, préconceptions et représentations acquis durant leur existence au travers des rapports de coerséduction qu’en fonction de ce qui est effectivement dit et présenté (si toutefois quelqu’un, dénué de préjugés et de paradigmes – ce qui est humainement impossible – pouvait le savoir).

 

Dean a eu du succès au départ non pas grâce aux NTICs mais grâce au fait que ces NTICs étaient utilisées par une « clientèle » différente de celle qui est traditionnellement politiquement engagée.

Ceux qui sont très conscients de leurs intérêts économiques et ethniques ne modifieront pas leurs croyances en se servant des NTICs.  Seule une défaite sur le terrain fera reculer l’opinion publique américaine peu importe l’usage des NTICs par ses détenteurs!

 

 

(1) Nua Internet Survey : http://www.nua.ie/surveys/how_many_online/

(2) Le site démocrate Moveon : http://www.moveon.org

(3) Marinucci C., “Lesser-known candidates getting word out on the Net Former Vermont governor mobilizing support trought Web site” in San Fransisco Chronicle, 05 avril 2003

(4) Dunhman Richard, « why the Dean bubble popped » in Business week, 16/02/04

(5) Pisani Francis, « Internet saisit par la folie des Weblogs » in Le Monde Diplomatique, Août 2003

(6) site officiel : http://www.deanforamerica.com/

(7) WebTV reprenant ses différents interventions dans les médias ou lors des meeting ainsi que des messages audiovisuels exclusivement diffusés sur le Web : http://howarddean.tv/

(8) blog animé par Howard Dean et ses collaborateurs : http://www.blogforamerica.com/

(9) Bars, restaurant, salon de thé, librairie principalement qui constituent, en marge des espaces privés des organisations de la société civile, des associations ou des entreprises, de réels espaces publics.

(10) sur cette question, voir Almeida J., « convergence technologique, espace public et démocratie »  in Tremblay G. [dir.], Bogues 2001, Globalisme et pluralisme, Communication, démocratie et globalisation,  Tome 4, Presses de l’Université de Laval, Québec, 2003

(11) Wolf Gary, « How Internet Invented Dean » in Wired, 12/01/04

(12) Les logiciels qui permettent de créer des blogs sont délivrés sous licence libre (comme Movable Type ou Blogger). Ils sont non seulement gratuit, mais également (par contradiction avec les logiques qui président à la diffusion des logiciels propriétaires), modifiables par les utilisateurs et donc adaptable à des orientations pragmatiques différentes

(13) Le logiciel de publication dédié au soutien de Howard Dean : http://www.deanspace.org

(14) Voir : Barbrook R. & Cameron Andy, The Californian Ideology, Londres, 1995

(15) La conférence « O’reilly emerging technology » a été organisé le 09 février 2004 à San Diego par les membres de la société californienne O’reilly, pionniers dans le domaine du logiciel libre, éditeur de manuel de référence et organisateur de conférences dédiées aux NTICs.

(16) Gillmor Dan, “Gore, Dean linked by Internet” in The Mercury News, 09/12/03

(17) Breton Philippe, le culte d’Internet, La découverte, Paris, 2000. Sur cette question, d’autres ouvrages plus récents tentent d’appréhender à travers le prisme religieux le nouveau rapport que « l’américanité » entretient avec les NTICs (comme par exemple : Davis, Erik, TechGnosis, Myth, magic + mysticisme in the age of information, Serpent’s tail, New York, 1998). Le processus de sécularisation du religieux aux Etats-unis semble à cet égard un objet extrêmement fécond d’analyse.

(18) on peut signaler la percée récente du système de publication français SPIP (Système de Publication pour l’Internet Partagé) délivré sous licence libre et que l’on pourrait comparer aux blogs. Le SPIP permet une décentralisation rédactionnelle des contenus et offrent également une architecture Web (php) préfabriquée. Il a constitué notamment, lors du naufrage du pétrolier Erika en 2000 sur les côtes bretonnes, un formidable outil de mobilisation citoyenne (une recherche en cours menée par le Centre d’Etude des Médias de Bordeaux sous la direction de André Vitalis y consacrera d’ailleurs une importante analyse). 

(19) Wolton Dominique, « les contradictions de l’espace public médiatisé » in Hermes, n°10, 1992, p. 95-114

 

Bibliographie

 

Almeida, Jorge, « convergence technologique, espace public et démocratie »  in Tremblay Gaëtan [dir.], Bogues 2001, Globalisme et pluralisme, Communication, démocratie et globalisation,  Tome 4, Presses de l’Université de Laval, Québec, 2003

Barbrook R. & Cameron Andy, The Californian Ideology, Londres, 1995

Breton, Philippe, le culte d’Internet, La découverte, Paris, 2000

Carey, James W., Communication as culture, essay on medias and society, Routledge, New York, 1988

Davis, Erik, TechGnosis, Myth, magic + mysticisme in the age of information, Serpent’s tail, New York, 1998

Granjon, Fabien, L’Internet militant : mouvement social et usages des réseaux télématiques, Apogée, Rennes, 2001

Rodoto, Stefano, la démocratie électronique, Apogée, Paris, 1999

Vitalis, André ; Proulx, Serge, Vers une citoyenneté simulée, Médias, réseaux et mondialisation, Apogée, Rennes, 1999

 

Articles…

Boyd A., “The Web Rewires the Movement” in The Nation, 17 juillet 2003

Forest David, « Du prophétisme techno-communicationnel à la théolo-technologie » in Quaderni, n°49, 2002

Gillmor D., « Gore, Dean linked by Internet”, The Mercury News, 09/12/03

Georges E., « Des pratiques communicationnelles et des lieux de pouvoir » in actes du XII ème congrès national des SIC, Marseille, SFSIC, 2002

Jarreau P., "Récupérons notre pays !" : le démocrate Howard Dean a capté la "colère libérale" contre le président sortant in Le Monde, 02 décembre 2003

Lemaire B., « Pour battre W, il faut un WWW » in Le Monde Interactif, n° 993, 12 septembre 2003

Marinucci C., « Lesser-known candidates getting word out on th Net Former Vermont governor mobilizing support trought Web site” in San Fransisco Chronicle, 05 avril 2003

Pisani Francis, « Internet saisit par la folie des Weblogs » in Le Monde Diplomatique, Août 2003

Riche P, « L'ex-gouverneur du Vermont est le favori pour affronter George W. Bush en 2004.
Howard Dean en échappée pour l'investiture démocrate » in Libération, 26 novembre 2003

Troin Victor, « la maîtrise de l’information : naissance et essor d’une doctrine stratégique » in Revue française de géopolitique, n°1, 2003

Wolf Gary, « How Internet Invented Dean » in Wired, 12/01/04

Wolton D., « les contradictions de l’espace public médiatisé », Hermes, n°10, 1992

 

Sur le Web…

Site officiel de Howard Dean : http://www.deanforamerica.com/

Blog officiel : http://www.blogforamerica.com/

Plateforme communautaire Meetup : http://www.meetup.com/

Site de Georges W. Bush : http://www.Georgewbush.com

WebTV de Howard Dean : http://howarddean.tv/

Move on : http://www.moveon.org

Logiciel DeanSpace : http://www.deanspace.org