L’intelligence artificielle et la justice, entre accélération technique et freins culturels

Débat en ligne organisé par CREIS-TERMINAL

vendredi 28 novembre 17h30-19h

L’année 2025 aura incontestablement été l’année de l’IA juridique : quatre rapports publics ont été publiés depuis la fin d’année 2024, les ouvrages se multiplient sur l’insertion de l’IA dans les pratiques judiciaires, les start ups ne cessent de fleurir (et de faner) et des formations universitaires et professionnelles apparaissent aux quatre coins de l’hexagone pour tenter de se saisir des opportunités, des risques et des questionnements autour de cette transformation accélérée du droit. Il y a pourtant une grande absente des festivités et de l’enthousiasme général : l’open data des décisions de justice, c’est-à-dire la politique publique visant la mise à disposition du public de l’ensemble des décisions de justice rendues par toutes les juridictions françaises. Enclenchée en 2016, reconfigurée en 2019, effectivement lancée en 2021, cette mise en ligne gratuite et en format librement réutilisable des décisions de justice continue presque silencieusement de prendre chaque année quelques années de retard… et pourtant personne, ou presque, ne s’en préoccupe.

La situation tient du parfait paradoxe, pour qui est conscient qu’il n’y a pas d’IA sans données. Pourtant, si l’open data était à l’origine conçue comme l’étape préalable au développement d’une IA juridique performante et opérationnelle, force est de constater que l’IA juridique, elle, n’a pas attendu une open data dès le départ freinée par un mélange d’impréparation technique et théorique. Quasiment dix ans après sa proclamation, l’open data a donc perdu sa seule réelle justification puisque les acteurs du secteur qu’elle était censée soutenir, la Legaltech, ont fait sans elle. Faute d’avoir été conceptualisée autrement que comme une béquille publique à une activité commerciale, l’ambitieuse politique qu’était censée être cet open data des décisions de justice continue aujourd’hui son chemin dans l’indifférence générale.

C’est sur ce paradoxe que nous proposons de nous attarder, en revenant successivement sur les ambitions de l’open data à l’époque de son lancement, puis sur ses défauts et obstacles originels qui expliquent à la fois son retard et son abandon total par le secteur de la Legaltech, et finalement sur la situation actuelle de délaissement de l’open data par l’ensemble des acteurs du droit, qu’ils soient praticiens, universitaires ou acteurs du développement de l’IA juridique.

Intervenante : Camille Bordère, maîtresse de conférences en droit public au sein de l’Université de Caen Normandie (ICREJ, UR 967). Elle est docteure en droit public de l’Université de Bordeaux, où elle a soutenu sa thèse de doctorat (La justice algorithmique. Analyse comparée (France/Québec) d’un phénomène doctrinal) en novembre 2023, et membre de la Chaire Droit public et politique comparés de l’université Jean Monnet Saint-Étienne. Ses recherches s’articulent autour de deux axes principaux : le droit du numérique et de l’intelligence artificielle (avec une particulière attention sur l’utilisation du numérique et de l’intelligence artificielle en droit) et la comparaison des droits. Dans ce dernier axe, elle s’intéresse ainsi plus spécifiquement aux États de la sphère anglo-américaine (Royaume-Uni et Canada) et aux questions de méthodologie de la comparaison.

Débat animé par Kieran Van Den Bergh, doctorant, membre du CA de CREIS-TERMINAL

Inscription obligatoire en envoyant un courriel à contact at lecreis.org précisant prénom, nom, fonction, adresse électronique et téléphone.

Le lien de connexion sera envoyé aux inscrits le 26 ou 27 novembre.

Félix Paoletti nous a quitté

C’est avec tristesse que nous avons appris le décès de Félix Paoletti. Il a été incinéré au cimetière du Père Lachaise le vendredi 12 septembre. Il a été un compagnon de route du CREIS et son président pendant quelques années et a contribué avec conviction et détermination à la réflexion sur les enjeux de l’informatisation.

Toutes nos condoléances à sa famille.

Voici le texte lu par Daniel Naulleau lors des obsèques en hommage à Félix.

Félix PAOLETTI En souvenir.

Félix vient de nous quitter ce 4 septembre à 84 ans. Je vais tenter d’évoquer des faits qui m’ont marqué tout au long d’une quarantaine d’années de vie commune à l’Institut de Programmation / UFR d’informatique à Jussieu.

La carrière de Félix a été originale, carrière commencée en 1971. Il a fait, je crois, des études en Lycée technique puis s’est orienté vers les probabilités et les statistiques. Cela été sa spécialité d’enseignement à Jussieu depuis son arrivée, au moment du boom de l’enseignement de l’Informatique en France.

Il a toujours eu à cœur de faciliter l’accès de l’enseignement supérieur à des étudiants dont les parcours n’avaient pas été « normaux » Il a défendu, becs et ongles, les diverses moutures des filières de Programmeur d’Etudes, permettant ainsi à des jeunes, et moins jeunes, de poursuivre leurs études vers les voies « nobles ». Des nombreux étudiants d’IUT ont profité de ces possibilités.

Après la sortie en 1978 de la Loi informatique et libertés un mouvement au sein de l’Institut de Programmation s’est développé visant à la création d’un enseignement « Informatique et Société ». Je me souviens qu’une pétition a été lancée en interne pour obtenir un tel enseignement, finalement donné par une équipe de 8 enseignants. Félix a été un élément moteur de ce lancement.

Nous avons du être les plus grands diffuseurs de la loi Informatique et Libertés en la distribuant aux promotions de centaines d’étudiants de l’époque.

Il a aussi porté cette parole dans les écoles normales en particulier dans des Universités d’été du Ministère et au travers d’articles pour des colloques et des revues, sans oublier ses diverses publications comme « l’Homme et l’ordinateur » ou « Informatique et Libertés ». Il a été dans les années 90 président du CREIS, l’association des enseignants chercheurs en Informatique et Société.

C’est en 1991 que Félix a soutenu sa thèse « Informatique et société, ergonomie et conditions de travail » sous la direction de Jean Pierre Bénéjam, mettant « en évidence qu’il n’y a pas de déterminisme technologique et que, par conséquent, il existe pour les différents acteurs sociaux, des possibilités de choix ».

Félix a aussi été un militant syndical, tantôt actif localement, tantôt nationalement au SNES-Up puis au SGEN CFDT. Localement il a été moteur dans le fonctionnement de l’UFR soit en participant ou animant des AG soit par son investissement comme co-directeur de l’UFR 922 avec Richard Terrat en 1984-1985. Je retiens de cette période le travail qu’il a réalisé pour permettre aux personnels IATOS de suivre la reconversion des « perfo-vérif » vers divers fonctions plus modernes.

Il a participé activement aux premières luttes concernant l’amiante, qui ont permis d’obtenir une première protection des bureaux des personnels au cours des années 70, plus de vingt ans avant le désamiantage complet des locaux de l’université.

Discret, strict mais efficace, il a certainement fait évoluer l’UFR vers plus d’ouverture au monde par le développement d’ Informatique et Société, mais aussi vers les étudiants qui n’avaient pas eu la chance de suivre le « bon » cursus, en luttant contre les traditions, la réglementation, l’inertie de la fac.

11 Septembre 2025

Daniel NAULLEAU

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Parmi les nombreuses publications de Félix, citons ses trois contributions à la revue Terminal

N° 141 Terminal : Écouter (à) l’écran

Terminal est une revue de réflexion critique sur les mutations de la société à partir de la question des nouvelles technologies de l’information et du développement d’Internet. Terminal s’attache à une réflexion pluridisciplinaire et transversale sur les enjeux culturels et sociaux des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication).

Terminal est en ligne sur le site Open édition Journal

Voix écrite et lecture conversationnelle, silence, son et bruit de la présence à distance.

Sous la direction de Peppe Cavallari et Margot Mellet

N° 140 Terminal – Transition numérique et transition écologique : complémentarité, tension, opposition

Ce numéro thématique, conjointement réalisé par les revues tic&société et Terminal, traite de deux processus en cours en ce premier quart du XXIe siècle : la transition numérique et la transition écologique. Plus particulièrement, il s’agit de mettre en évidence et de questionner, dans la mesure du possible, les similitudes, les tensions et les oppositions entre ces deux processus évolutifs.

La conjugaison des termes transition et numérique formerait en soi un oxymore, car la numérisation généralisée de la société ne favorise guère l’impératif de sobriété que supposerait la transition écologique. Le travestissement de la notion de transition dans le champ du numérique ne consisterait-il pas ainsi en une diversion afin de détourner l’attention de ce qui se prépare dès à présent en matière de croissance du numérique?

Ce numéro de Terminal est en ligne sur le site Open Edition