Examen de la LOPMI : Refusons les policiers programmés

Communiqué de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), Paris, le 28 octobre 2022.

La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (la « LOPMI ») a été adoptée au Sénat et sera débattue à l’Assemblée nationale dans les prochaines semaines. Ce texte soulève de sérieuses inquiétudes pour les sujets touchant aux libertés fondamentales dans l’environnement numérique.

L’Observatoire des libertés et du numérique appelle les député·es à rejeter massivement ce texte.

1. Un rapport programmatique inquiétant promouvant une police cyborg

S’agissant d’une loi de programmation, est annexé au projet de texte un rapport sans valeur législative pour décrire les ambitions gouvernementales sur le long terme et même, selon Gérald Darmanin, fixer le cap du « réarmement du ministère de l’Intérieur ». Déjà, en soi, le recours à une sémantique tirée du registre militaire a de quoi inquiéter.  Véritable manifeste politique, ce rapport de 85 pages fait la promotion d’une vision fantasmée et effrayante du métier de policier, où l’agent-cyborg et la gadgétisation technologique sont présentés comme le moyen ultime de faire de la sécurité.

L’avenir serait donc à l’agent « augmenté » grâce à un « exosquelette » alliant tenue « intelligente » et équipements de surveillance. Nouvelles tablettes, nouvelles caméras piéton ou embarquées, promotion de l’exploitation des données par intelligence artificielle, sont tout autant d’outils répressifs et de surveillance que le rapport prévoit d’instaurer ou d’intensifier. Le ministère rêve même de casques de « réalité augmentée » permettant d’interroger des fichiers en intervention. C’est le rêve d’un policier-robot qui serait une sorte de caméra mobile capable de traiter automatiquement un maximum d’information. Ce projet de robotisation aura pour premier effet de rendre plus difficile la communication entre les forces de l’ordre et la population.

Cette projection délirante se poursuit sur d’autres thématiques sécuritaires. Le ministère affiche par exemple la volonté de créer des « frontières connectées » avec contrôles biométriques, drones ou capteurs thermiques. Il confirme également son obsession toujours plus grande de la vidéosurveillance en appelant à en tripler le budget à travers les subventions étatiques du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), malgré l’inutilité démontrée et le coût immense de ces équipements.

Qu’il s’agisse de délire sécuritaire ou de calcul électoraliste, le rapport livre une vision inquiétante du numérique et de la notion de sécurité. Malgré son absence de portée normative, pour le message qu’il porte, l’OLN appelle donc les député·es à voter la suppression de ce rapport et l’article 1 dans son entièreté.

2. Un affaiblissement du cadre procédural des enquêtes policières

Ensuite, le fond des dispositions est guidé par un objectif clair : supprimer tout ce que la procédure pénale compte de garanties contre l’autonomie de la police pour faciliter le métier du policier « du futur ». La LOPMI envisage la procédure pénale uniquement comme une lourdeur administrative inutile et inefficace, détachée du « cœur de métier » du policier, alors qu’il s’agit de règles pensées et construites pour protéger les personnes contre l’arbitraire de l’État et renforcer la qualité des procédures soumises à la justice. On peut d’ailleurs s’étonner que le texte soit principalement porté par le ministère de l’Intérieur alors qu’il s’agit en réalité d’une refonte importante de la procédure pénale semblant plus relever de l’organisation judiciaire.

De manière générale, l’esprit du texte est assumé : banaliser des opérations de surveillance en les rendant accessibles à des agents moins spécialisés et en les soustrayant au contrôle de l’autorité judiciaire. Le texte permet ainsi à de nouvelles personnes (des assistants d’enquête créés par le texte ou des officiers de police judiciaire qui auraient plus facilement accès à ce statut) de faire de nombreux actes d’enquête par essence intrusifs et attentatoires aux libertés.

Par exemple, l’article 11 prévoit que les officiers de police judiciaire peuvent procéder directement à des « constatations et examens techniques » et à l’ouverture des scellés sans réquisition du procureur. Complété par des amendements au Sénat, cet article facilite désormais encore plus les interconnexions et accès aux fichiers policiers (notamment la collecte de photographie et l’utilisation de la reconnaissance faciale dans le fichier TAJ ainsi que l’analyse de l’ADN dans le FNAEG), contribuant à faire davantage tomber les barrières pour transformer le fichage massif en un outil de plus en plus effectif de contrôle des populations.

Ensuite, l’article 12 conduit en pratique à une présomption d’habilitation à consulter des fichiers pendant une enquête ou une instruction. Sous couvert d’une protection contre les nullités de procédure, cette simplification soustrait les policiers à toute contrainte formelle et supprimerait une garantie fondamentale de protection du droit à la vie privée. Cette disposition permettrait un accès total aux fichiers et viderait par ailleurs de leur substance l’ensemble des textes existants visant à limiter l’accès (pourtant déjà très souple), pour chaque fichier, à une liste de personnes habilitées et déterminées. On assiste ainsi à un « effet cliquet »: après avoir multiplié les fichages en prétextant des garanties, on vient ensuite en faciliter les accès et les interconnexions.

3.  L’amende forfaitaire délictuelle : une utilisation du numérique contre les justiciables

Par cette dynamique, le gouvernement fait passer la répression et la surveillance comme l’outil principal du travail policier et affaiblit considérablement le socle de protection de la procédure pénale.

Le projet d’étendre encore un peu plus le champ d’application de l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) en est l’une des illustrations les plus éloquentes : cette procédure — dont l’efficacité prétendue n’est mesurée qu’à l’aune du nombre d’amendes prononcées et à la rapidité de la sanction — repose sur un usage de l’outil numérique permettant d’industrialiser et automatiser le fonctionnement de la justice pénale en affaiblissant les garanties contre l’arbitraire, en entravant le débat contradictoire, et en transformant l’autorité judiciaire en simple « contrôleur qualité ». 

Les forces de l’ordre sont ainsi transformés en « radars mobiles » de multiples infractions, le tout sans véritable contrôle judiciaire et en multipliant les obstacles à la contestation pour la personne sanctionnée.

L’évolution vers cette justice-là n’est pas un progrès pour notre société.

Ce projet, s’il est adopté, porterait une atteinte sérieuse au nécessaire équilibre qui doit exister entre, d’une part, la protection des libertés individuelles et collectives et, d’autre part, l’action des policiers. Les député·es doivent donc rejeter ce texte qui affaiblit le contrôle nécessaire de l’activité policière et met en danger les équilibres institutionnels qui fondent la démocratie.

Organisations signataires membres de l’OLN : Le CECIL, Creis-Terminal, Globenet,La Quadrature du Net (LQDN), Le Syndicat des Avocats de France (SAF), le Syndicat de la Magistrature (SM).

Débat en ligne : Quelques perspectives juridiques sur la gestion algorithmique du travail

Creis-Terminal vous propose un

débat en ligne le 7 octobre de 18h à 19h30

sur le thème de la gestion algorithmique du travail

présenté par Kieran Van den Bergh, doctorant en droit privé rattaché au COMPTRASEC et travaillant sur « Les mutations du travail au prisme du numérique » sous la direction d’Isabelle Daugareil.

Il sera animé par Damien Bondat, Maitre de conférences en droit privé et modéré par Anne Gagnebien, Maitresse de conférences en Sciences de l’information et de la communication et membre du conseil d’administration du Creis-Terminal, et Jean-Marc Jullien, doctorant à l’IMSIC (Université de Toulon).

Présentation du débat

La « gestion algorithmique du travail » est un terme parapluie qui désigne l’utilisation de systèmes numériques servant à organiser et contrôler des travailleurs. Ces systèmes sont plus ou moins invasifs et sophistiqués mais supposent toujours la « captation » puis « l’exploitation » de données numériques sur le travail effectué. Or, depuis une perspective juridique, chacune des étapes techniques que présuppose la captation puis l’exploitation subséquente de ces données pose difficulté. Il est en effet impossible de capter des données sur le travail effectué sans en capter tout autant sur la personne du travailleur qui l’exécute. De plus, les relations de travail présupposent généralement des rapports contractuels qui sont par essence inégalitaires. Le risque de dérives est donc significatif. Qu’il s’agisse de la protection des données à caractère personnel ou de la défense de la condition humaine au travail, la gestion algorithmique du travail met au défi les cadres juridiques classiques. Le contexte actuel veut par ailleurs que de telles données soient avant tout mises en « libre circulation » en sachant que le droit du travail est de plus en plus considéré comme un obstacle qu’il faudrait contourner. C’est à ce titre qu’il sera intéressant d’interroger les promesses ainsi que les limites du cadre juridique applicable. En premier lieu le contexte des relations de travail dites « salariées » sera abordé puis le cas, plus problématique, des relations de travail qui passent par des plateformes numériques que le législateur semble vouloir exclure du droit du travail.    

Lien visio :

https://us02web.zoom.us/j/81234975021?pwd=SUJFQWN3OVJwQm9TajhGWUlsbGZiZz09

ID de réunion : 812 3497 5021

Code: 397022

Témoignages I&S

Témoignages Informatique et Société

Entre le 3 janvier 2022 et le 19 mars 2022, le recueil de neuf témoignages courts a été entrepris (par enregistrement direct, visio-téléphonique ou par les témoins eux-mêmes), dans le cadre de l’état de l’art Informatique et Société (Rapport G.Vidal, 2022, USPN).

Ces neuf témoignages, de jeunes chercheurs à professeurs émérites, permettent de brosser un tableau francophone (France, Luxembourg, Montréal) du champ de Recherche Informatique et Société. Ils sont universitaires et chercheurs, en informatique, sciences juridiques, histoire, science politique, sciences de l’information et de la communication, socio-économie de l’innovation, et présentent une diversité de parcours académique, institutionnel, associatif, entreprise.

Ces témoignages s’appuient sur une trame thématique relative aux relations technique et société, fondations de la posture critique relevant du champ Informatique et Société, perspectives de l’informatisation de la société, en termes de risques et opportunités, pour la recherche, la société civile, les institutions et organisations, d’autres points qui paraissent essentiels aux témoins, sur le processus d’informatisation sociale.

Geneviève Vidal







Les témoignages sont accessibles en cliquant sur les photos ci-dessous.


Francesca Musiani

Anne-France Kogan

Hervé Le Crosnier

François Pellegrini

Daniel Naulleau

Danièle Bourcier

Valérie Schafer

André Vitalis

Eric George

Mes sincères remerciements aux témoins, à Michaël Vidal et à Maurice Liscouët. G.V.

Journée d’étude « Interconnexions entre transitions numérique et écologique » 9 juin 2022

Interconnexions entre transitions numérique et écologique

Interconnections between digital and ecological transitions

Organisée par Creis-Terminal, LabSIC de l’Université Sorbonne Paris Nord et Paris-Saclay Applied Economics d’INRAEAgroParisTech

Séminaire classé par INRAE comme fait marquant 2022

Les présentations des intervenant-e-s sont en ligne, pour y accéder il suffit de cliquer sur le titre dans le programme ci-dessous.

Á l’issue des deux premières décennies du millénaire, pour relever les défis socio-environnementaux imposés par le changement climatique dans la perspective d’un développement réellement soutenable, émerge la question de l’interconnexion entre les modalités de la transition écologique que nous expérimentons et celles d’une transition numérique transversalement à l’œuvre au sein des sphères économiques, sociales et culturelles.

D’une part, la poursuite des objectifs du développement durable implique de revoir les stratégies de développement économique et social, en repensant nos modes de production, de transport et de consommation afin de limiter notre empreinte environnementale et de mettre fin aux injustices qui en résultent.

D’autre part, les nouveaux modes de production, de consommation et de socialisation portés par la transition numérique viennent impacter les systèmes complexes au sein desquels ces innovations technologiques émergent, en particulier les chaînes d’approvisionnement et les réseaux sociaux, par une création de valeur davantage basée sur la production, la circulation et l’analyse de données que sur la production directe de biens, aménités et services tant économiques que sociaux.

Pour les Nations-Unies, la contribution des technologies de l’information et de la communication (TIC) à la poursuite des objectifs du développement durable s’appuie sur la mise en place d’infrastructures, la sécurisation des investissements, la promotion de l’innovation et le développement de stratégies inclusives. Cependant, contrairement à certains a priori, les TIC ne s’avèrent pas toujours favorables à un développement soutenable. Davantage d’analyses circonstanciées et des travaux plus approfondis sont nécessaires pour apprécier les impacts directs et indirects des TIC dans chacune des dimensions du développement durable (sociale, économique et environnementale).

Dans le contexte d’une dégradation toujours plus manifeste de notre environnement sur laquelle est venue se greffer une prévisible crise sanitaire, bon nombre d’acteurs en appellent désormais à une vie sociale, économique et culturelle, et un travail menés à distance : pour les uns, il s’agirait de réduire durablement notre empreinte environnementale, pour d’autres de freiner l’émergence et la diffusion des variants du Sars-Cov2, responsable de la Covid19. Quelles sont les résistances et les résiliences à cette vie à distance gérée au prix de la réduction et parfois l’appauvrissement des contacts humains ?

Cette journée d’étude Creis-Terminal se propose de mener une réflexion sur les opportunités offertes, les limites imposées et les résistances induites par cette vie à distance en examinant compatibilités et incompatibilités entre transition numérique et transition écologique. Ainsi, cette journée d’étude s’attachera notamment à explorer les thématiques suivantes :

9h30-10h45 La transition numérique implique une digitalisation à marche forcée de la société : cela suppose plus de matériels, de logiciels, de réseaux, de connexions donc plus d’énergie et de matières premières. Est-ce pleinement compatible avec la transition écologique ? 
Conférencier :Per Fors (Ifip-TC9/WG9.9), «The Dark Sides of Sustainable ICT: Cannibalism and Unequal Exchange of Environmental Destruction »
Intervenants :
. Erwann Fangeat (Ademe), «Impact environnemental du numérique en France »
. Adrien Haidar (Arcep),  «Collecter de la donnée pour suivre l’évolution de l’impact environnemental du secteur ? »

11h15-12h30 Transitions numérique et écologique partagent un grand appétit (récolte, traitement, production, commercialisation, …) pour des données de toute nature, en particulier individuelles. Au-delà du Règlement général sur la protection des données de l’Union européenne, faut-il fuir, résister, réduire ou esquiver l’envahissement du réel par le virtuel ?
Conférencier : Franca Salis-Madinier (CFDT-Cadres), « IA en milieu professionnel »
Intervenants :
. Sarah Sandré ( IRIS, Membre du RIJCSS -Réseau jeunes chercheurs santé et société- , MSH Paris Nord), « Data en santé et espace numérique de santé »
. Eric George (CRCIS – UQAM) « Les centres de données (Data Centers) et leur implantation géographique entre logiques économique et écologique : Et la souveraineté dans tout ça ? Analyse à partir de l’Irlande et du Québec»

14h15-15h30 Transitions numérique et écologique suscitent l’une comme l’autre un complexe d’innovations technologiques dont les profils sont parfois disparates voire contradictoires : des technologies à haute intensité capitalistique et forte valeur ajoutée (High Tech) telles que intelligence artificielle, reconnaissance faciale, ou communication satellitaire, aux innovations plus frugales en capital, sobres en énergie, facilement appropriable, ou résilientes au changement climatique (Low-Tech). Peut-on concilier voire articuler High-Tech et Low-Tech au sein de sentiers soutenables de développement pour abaisser notre empreinte environnementale ?
Conférencier : Anne Faure (France Stratégie) et Claude Kirchner (Inria), «  Impact sociétal et environnemental de l’Internet des objets ».
Intervenants :
. Fabrice Flipo (Institut Mines Telecom), « L’impératif de la sobriété numérique »

Pour échanger sur ces questions, CREIS-Terminal et le LabSIC vous invitent à participer à cette journée d’étude organisée autour d’exposés et de tables rondes abordant les thématiques précitées sous des angles multiples : bilan social et environnemental, stratégies d’acteurs, ancrage territorial, dynamiques d’innovation et de transition, appropriation de la connaissance, systèmes d’information extra-financière, instruments de régulation et gouvernance. L’inscription est ouverte aux chercheurs, enseignants, associatifs, journalistes, et d’autres personnes concernés par les enjeux humains de cette double transition qu’ils soient sanitaires, sociaux, économiques, ou culturels.

Responsables scientifiques : Dominique Carré (LabSIC, Université Sorbonne Paris Nord), Dominique Desbois (AgroParisTech-Inrae, Université Paris-Saclay).

Références

Ademe (2019) La face cachée du numérique, 19 p.
Baschet J. (2021) Basculements. Mondes émergents possibles désirables, La Découverte, Paris, 256 p.
Carré D., Vidal G. (2018) Hyperconnectivité. Enjeux économiques, sociaux et environnementaux, ISTE éditions, Londres, 130 p.
Desbois D. (2020) Technologies biométriques et libertés individuelles à l’épreuve de la crise sanitaire, Terminal, 127
Desbois D., Gossart C., Jullien N., Zimmermann J.B. (2010), Le développement durable à l’épreuve des TIC, Terminal , 106-107
France Stratégie (2022) Le monde de l’Internet des objets : des dynamiques à maîtriser, Kirchner Claude (dir.), 297 p.
Haut Conseil pour le Climat (2020) Maîtriser l’impact Carbone de la 5G, 32 p
Iddri, FING, WWF France, GreenIT.fr (2018). Livre blanc Numérique et Environnement, 34 p.
Gouvernement français (2021) Feuille de route Numérique & Environnement, 32 p.
Monnoyer-Smith L. (2017) Avant-propos. Transition numérique et transition écologique, Annales des Mines – Responsabilité et environnement, n° 87, pp. 5-7.
Pitron G. (2019) La guerre des métaux rares, Paris, Les Liens qui Libèrent, 320 p.
The Shift Project (2020) Déployer la sobriété numérique, 116 p.
Vidalenc E. (2019) Pour une écologie numérique, Les Petits Matins, 124 p.
Zuboff S. (2019) The Age of Surveillance Capitalism, Profile Books, 704 p.


Participation gratuite mais inscription obligatoire.